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Re: 👥[Staff] Jean-Marc Furlan et son staff

Publié : 30 mai 2022, 13:52
par kianou2525
Jean-Kevin a écrit : 30 mai 2022, 13:38
Rominet a écrit : 30 mai 2022, 13:35 Arrivée de Samir Chamma en recruteur :0
On sait des choses sur Samir ? 
qu'il semble avoir fait du bon boulot à Lens en tout cas ::d

Re: 👥[Staff] Jean-Marc Furlan et son staff

Publié : 30 mai 2022, 14:00
par patchack
Alors pas en recruteur apparemment mais coordinateur sportif d'après l'équipe, ou j'ai loupé quelque chose?
Après qu'est ce que ça veut dire exactement coordinateur sportif je sais pas haha

Re: 👥[Staff] Jean-Marc Furlan et son staff

Publié : 30 mai 2022, 14:01
par marco711
Apparemment, Samir Chamma serait très proche de David Carré.
Il a rejoint l'ASNL en 2011 comme analyste vidéo à l'époque de JF.. (et David Carré comme adjoint).
Cf article ci-joint.
News:
Avec Jean Fernandez, le courant passe bien. D’autant mieux que le sorcier d’alors a choisi pour adjoint David Carré, l’un des meilleurs amis de Samir Chamma. Ces trois-là ne vont plus beaucoup se quitter. C’est à l’appel du duo Fernandez/Carré, partis rejoindre l’ASNL en 2011, que Samir Chamma quittera son club originel (le FC Metz), quelques semaines avant la relégation en National. Entre-temps, il avait bossé sous les ordres de Joël Muller, lequel l’avait encore davantage responsabilisé.
https://www.lasemaine.fr/il-a-un-il-sur-tout/

Re: 👥[Staff] Jean-Marc Furlan et son staff

Publié : 30 mai 2022, 14:02
par King Canto
Il s'occupait de l'analyse vidéo à Nancy, il a été intégré auprès de Ghisolfi et Thil dans la cellule de recrutement lensoise, dont il gérait la logistique. Bref, c'est un touche à tout qui a de l'expérience dans le quotidien d'un club de foot pro.

Re: 👥[Staff] Jean-Marc Furlan et son staff

Publié : 30 mai 2022, 14:07
par Julien
La question sur toutes les lèvres, ce recrutement est-il Furlan compatible ?

Re: 👥[Staff] Jean-Marc Furlan et son staff

Publié : 30 mai 2022, 14:33
par Leon29
Qu'il veuille poursuivre l'aventure est très positif pour le début de saison prochain. C'est un gain de temps.
On peut y voir aussi que nous avons un coach qui veut rester, signe que les relations en interne sont bien meilleures que par le passé.

Je pense que l'engouement qu'il y a eu ces derniers mois avec les supporters ne seront pas étrangers si il prolonge. Il le dit lui même, il n'a pas connu ça. Et oui il a compris ce que c'est l'AJA. Il prenait le club de haut au début mais plus maintenant.

Désormais il ne faut pas oublier que la direction veut aussi faire de son centre un vivier pour l'équipe 1. Et ça pour Furlan c'est plus difficile à accepter. Mais bon si il continue c'est en connaissance de tout ça.

Re: 👥[Staff] Jean-Marc Furlan et son staff

Publié : 30 mai 2022, 14:58
par lecoriace44
Rominet a écrit : 30 mai 2022, 13:35 Arrivée de Samir Chamma en recruteur :0
je ne comprends pas, on n'a pas pris alexaja ??? 8| 8| :mrgreen:


Furlan avait donné une interview il y a quelques semaines en disant qu'il voulait continuer que ce soit en 1 ou 2, rien de plus logique qu'il poursuivre son œuvre.

Re: 👥[Staff] Jean-Marc Furlan et son staff

Publié : 30 mai 2022, 17:30
par djej
Article Cecile Traverse - Ouest france

CHAP 1 La rencontre :
« Je suis née dans la même commune que Jean-Marc Furlan, à Sainte-Foy-La-Grande. C’est un tout petit village paisible et ensoleillé de Gironde, posé au bord de la Dordogne, apprécié des touristes anglais, notamment grâce à son très beau marché le samedi matin. Mon grand-père et ses parents se connaissaient ; notre chien, Nike, une terreur, nous avait même été donné par son papa. Pourtant, Jean-Marc et moi ne nous sommes jamais rencontrés durant notre jeunesse. C’est avec le football, vingt ans plus tard, que nos chemins se sont croisés.
Avant cela, j’ai eu une enfance aussi sportive qu’heureuse. Michèle, ma maman, était une institutrice de maternelle extrêmement passionnée par son métier. Elle m’a transmis le plaisir d’apprendre et ne cessait de me répéter qu’il me fallait avant tout découvrir mon métier passion. Gérard, mon papa, a fait beaucoup de choses dans sa vie. Créateur insatiable, très inspirant, il était commerçant ou plutôt « loueur de fonds », comme il disait. Il achetait des structures qu’il retapait avant de les louer ou de les diriger lui-même. À Sainte-Foy, il a fondé une salle de sport, un supermarché, un hôtel-restaurant, une salle de jeu, un tabac presse, puis, son dernier projet, un haras pour ma petite sœur. Durant mon enfance, il gérait une brasserie « Le Victor Hugo ». Cette époque m’a tellement marqué que je confie souvent à Jean-Marc que j’aimerais que nous achetions un restaurant, plus tard.

À l’âge de 7-8 ans, mes parents ont divorcé. Je ne l’ai pas mal vécu. Je voyais bien qu’ils ne s’entendaient plus. Mais ils ont continué à être en phase pour moi. De cet événement sont nées les racines de mon métier, de ma rencontre avec Jean-Marc, de ma vie. Après le divorce, je dormais chez ma maman et mangeais tous les midis chez mes grands-parents avec mon papa. Je le voyais donc moins et je pense qu’il s’est mis en quête d’une nouvelle activité que nous pourrions partager afin de conserver notre lien. À cette époque, il faisait construire notre future maison au bord de la Dordogne. À six rangs de vignes de là, se trouvait un club de tennis. Mon père y jouait un peu. Il a décidé de me faire essayer.
J’ai tout de suite aimé l’effort physique, le jeu pur, le contact de la balle avec la raquette, les glissades sur la terre battue, ma surface favorite. Après des débuts timides, je me suis assez bien débrouillée. Aux yeux de mon père, ce loisir est alors devenu un projet de haut niveau, ce qui a quelque peu dénaturé l’origine de l’aventure. Convaincu plus que moi que je pourrais embrasser une carrière professionnelle, il a fini par me demander de choisir entre la danse, l’autre discipline que je pratiquais, ma bien-aimée, et le tennis. Il me disait que j’étais trop sur la pointe des pieds sur le court et que cela nuisait à ma performance. J’ai choisi le tennis. Presque à contrecœur. Pour lui. Je voyais bien la place qu’avait pris ce sport dans notre relation.
Tout est alors devenu extrêmement sérieux et dense. Le plaisir du jeu a laissé place à l’enjeu. Avec du recul, je me dis que ce fut une chance, car ces circonstances m’ont offert une vie que je n’échangerais pour rien au monde. Comme l’a écrit Boris Cyrulnik, « l’objet d’étude que l’on choisit est un aveu autobiographique » et c’est particulièrement vrai à mon sujet. Mais sur le coup, ce fut extrêmement difficile. J’aime mon père de tout mon cœur et il me manque terriblement, mais sur le bord du terrain, il était infernal, parfois odieux et extrêmement maladroit pour l’enfant que j’étais. Quand je gagnais un match, il clamait : « Ma fille a gagné. » Quand je perdais, après s’être longuement emporté dans la voiture, il lançait à maman : « Ta fille a perdu. » Il ne se rendait pas compte de la portée de ses mots, de la pression qu’il mettait sur mes épaules. Sa déception et sa frustration prenaient le pas.
J’avais tellement peur de le décevoir qu’il existait un écart abyssal entre ce que je produisais à l’entraînement et ce que je faisais en match. En compétition, j’avais des difficultés à respirer, la gorge serrée, l’envie de pleurer, le cœur qui tapait, les jambes en coton. La manifestation de cette sensation d’oppression la plus marquante se portait sur le service. À l’entraînement, je servais très bien, comme en témoignaient les sauts de balles que j’enchaînais. Mais en match, le stress était à son paroxysme au moment d’engager. Mon bras devenait très lourd, endolori… Le fameux « je ne sens rien » du joueur de tennis. J’enchaînais les doubles fautes et j’en venais parfois à servir à la cuillère. Un véritable calvaire.
Pendant longtemps, l’incompréhension a régné dans ma tête de jeune fille. Je sentais que l’attitude de mon papa ne m’aidait pas du tout et qu’il me faisait perdre mes moyens. Mais je ne décodais pas pourquoi mon jeu s’envolait à ce point. C’était une énigme. Il m’a fallu du temps, des lectures et beaucoup d’introspection pour assimiler que je ne rentrais pas sur un terrain pour gagner un match de tennis mais pour gagner l’amour de mon papa. Tout devient plus lourd de sens dans ces conditions. Riche de cette prise de conscience, l’évidence m’est alors apparue sans ambiguïté : peu importait le résultat, mon papa m’aimait. Je me détruisais pour obtenir quelque chose que j’avais déjà.
Malheureusement, à l’époque, personne ne m’a aidée à appréhender cette réalité. Je vous confie cela car cette souffrance, cette pression ont énormément compté dans mon parcours. Lorsque je suis entrée à la fac des sciences du sport et de l’éducation physique de Bordeaux, j’ai découvert la psychologie du sport et lu de nombreux écrits sur la notion de stress. J’ai d’abord compris qu’il était normal de le ressentir. Ouf : je ne souffrais d’aucune pathologie mentale. Oui, vraiment, j’en étais venu à m’interroger à ce point.
En approfondissant, j’ai appris ce qu’était le stress, comment il fonctionnait, comment le réduire, le gérer. Ce cheminement a été éclairant. Une découverte fondamentale. Une rencontre avec moi-même. Le début d’une thérapie personnelle. Stendhal disait « qu’un moyen de se consoler est de regarder sa douleur de près ». C’est exactement ce que j’ai vécu à la fac. Je me retrouvais dans chacune des manifestations de stress abordées. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à être intéressée par la préparation mentale des sportifs. J’ai vite assimilé que je n’étais pas faite pour vivre la compétition, mais je me suis sentie « destinée » à accompagner les sportifs qui la vivent. J’avais la sensation de les comprendre.

Ma vie étudiante à Bordeaux marque également le début de mon amour pour le football. Il m’a longtemps intriguée. Jeune, je suivais bien des matches de temps en temps à la TV, mais personne ne m’a jamais emmenée dans un stade. À l’origine, papa préférait le rugby. Je suis donc tombée amoureuse du foot à 18 ans, dans le virage sud, celui des Ultramarines, du stade Chaban-Delmas des Girondins. J’y allais parfois avec des amis, parfois seule, sans réellement comprendre pourquoi. J’ai beaucoup réfléchi à cette attirance aussi inexplicable qu’inexpliquée. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que si j’ai autant aimé le football c’est parce que, d’une certaine manière, il me rappelait la danse que j’avais abandonnée plus jeune. Par l’animation en tribune, déjà… Ce lieu empli de bruits, de couleurs, de chants, de chœurs, de chorégraphies. Dans le virage, je vivais le match comme une grande symphonie d’émotions… Excessives à certains moments, bien entendu.
Le mimétisme se retrouvait aussi sur le terrain. Aujourd’hui encore, je regarde un match comme on admire un ballet. Quand il existe une relation technico-tactique entre les joueurs, que le ballon circule avec fluidité, que les appels sont coordonnés, le football me donne cette impression de grâce, de facilité – alors qu’il n’y a rien de plus dur que de jouer simplement. À mes yeux, une vraie forme esthétique, chorégraphique, dansée habite ce sport. Bien sûr, les matches sont parfois tristes à en mourir, mais il me suffit d’un mouvement, d’une action élégante pour que je passe un bon moment. Définitivement, le foot était ma danse à moi, ma bulle, mon refuge mystérieux.
Par sa philosophie de jeu, son envie de faire jouer ses équipes, sa recherche inconsciente d’élégance et d’esthétisme, je pense que je ne pouvais pas tomber amoureuse d’un autre entraîneur que Jean-Marc Furlan. Il existe forcément un lien entre nos visions et nos façons de vivre ce sport. Ses principes de jeu sont d’ailleurs peut-être le seul domaine de sa vie où il a des certitudes. Je lui avoue parfois qu’il est déconcertant. Il lui arrive de douter sur des choses qui me semblent pourtant claires, quasi indiscutables, mais sur son idée du football, il n’a pas un millimètre de doute. Je vous le détaillerai lors de mes prochaines chroniques.

Je suis donc tombée amoureuse du football bien avant de tomber amoureuse de Jean-Marc Furlan, dont je n’avais toujours pas croisé le chemin à l’aube de mes études. À l’époque, mon mentor sur le ballon rond était l’un de mes professeurs, M. André Menaut. J’adorais ses cours. Ils me bousculaient, me donnaient envie de savoir. J’admirais ses qualités d’enseignant qui m’obligeaient à m’interroger, à aller plus loin. Rien à voir avec le « modèle clé en main » ! Si vous vouliez pouvoir le suivre, il fallait vous y employer ! Il était un puits de sciences monstrueux. Cet homme avait également été entraîneur des Girondins de Bordeaux, dans les années 1970. Bref, c’était un universitaire du foot. Au fil du temps, c’est devenu une évidence pour moi à la fois de travailler avec lui mais aussi d’étudier le football et ses acteurs.
M. Menaut m’a permis de lier ma passion pour le football et mes études. Il a été mon directeur de mémoire, pour lequel j’ai étudié la relation entraîneur/entraîné, puis de thèse, où j’ai effectué une étude comparative et longitudinale sur le stress et le coping des joueurs(ses) de tennis et de football. Pour le foot, je partais de zéro. Et M. Menaut m’a aidée à trouver trois clubs masculins et féminins acceptant de participer à mon étude. J’ai passé énormément de temps dans leurs couloirs, vestiaires, dans leurs stades. Un copain de l’époque m’appelait même « le camionneur », car j’étais tout le temps sur la route, à naviguer entre ces clubs et leurs compétitions respectives.

À partir du moment où je suis « entrée » dans le monde du football, j’ai fermement décidé que je n’en sortirai pas. Dans un club, entourée de cette ambiance, du staff, des joueurs, de leur logique de fonctionnement, j’avais l’impression d’être chez moi, à ma place. Paradoxal, je l’entends, car arriver dans un vestiaire a de quoi impressionner. J’étais seule face à vingt-cinq garçons, souvent unique femme, unique préparateur mental, un domaine dont certains se méfiaient, que d’autres méprisaient. Mais étrangement, je me sentais dans mon élément, bien plus que dans une réunion d’enseignants, par exemple. Oui, j’avais le sentiment de comprendre les ressentis des joueurs, leur mode de vie, leur relation à l’activité, d’être en lien avec ce qu’ils vivaient, par mon parcours et mes études, mon vécu étant intimement lié avec mon domaine de recherche.
Parmi les clubs vers lesquels M. Menaut m’a orientée pour ma thèse, il y avait Libourne Saint-Seurin, où un certain Jean-Marc Furlan commençait sa carrière d’entraîneur. Les deux se connaissaient : c’est M. Menaut qui a lancé la carrière professionnelle de joueur de Jean-Marc, à la fin des années 1970. Il a été plus qu’un entraîneur pour lui. Il l’a accueilli dans sa famille, dans sa maison. Il a été son mentor. Jean-Marc et moi, c’est ainsi d’abord l’histoire de cet homme qui a permis à nos chemins de se croiser.
Je rencontre Jean-Marc au début des années 2000. Je me souviens du premier entretien dans son bureau. Ce qui m’a marquée, ce n’est même pas le contenu de notre discussion, son apparence physique, ses vêtements. Non, c’est la taille de la pièce dans laquelle nous étions. J’ai le souvenir qu’elle n’était pas très grande. Ou plutôt que Jean-Marc l’occupait dans son entièreté. Il prenait toute la place par sa stature, sa voix puissante, son charisme. Il transpirait une ambiguïté fascinante chez lui : il me semblait pouvoir à la fois se montrer très gentil, comme très dur, au moindre dérapage de la ligne de conduite édictée.

Au début, Jean-Marc me testait. Il plaisantait beaucoup moins qu’il ne plaisante aujourd’hui. C’était très sérieux. Il m’expliquait sa méthode de travail, l’extrême rigueur qu’il estimait nécessaire dans le quotidien d’un club de football. Toujours dans la bonne humeur. Mon profil l’intéressait car M. Menaut avait joué les entremetteurs, certes, mais aussi car il a très vite perçu mon intégration dans son vestiaire, ma rigueur, mon protocole très carré. Il a compris ce que son équipe avait à gagner.
Jean-Marc Furlan est un chercheur permanent de valeur ajoutée. Il m’a fait confiance et c’est devenu une évidence de travailler avec lui tant c’était un coach intimement convaincu de l’intérêt de la préparation psychologique et mentale. Et à ce moment-là, croyez-moi c’était assez avant-gardiste ! À cette époque, notre relation était purement professionnelle. Nous avons collaboré de nombreuses années ensemble, sans être ensemble. Nous avions chacun nos vies.
Le début des années 2000 était aussi une période où le métier de préparateur mental était encore assez jeune, considéré par certains comme un repère à charlatans, à gourous. Consciente de cette réalité, j’ai pris la décision de me faire rémunérer seulement une fois mon doctorat obtenu. Mon objectif secret était de recevoir les félicitations du jury, pour asseoir ma légitimité. J’ai effectué 4-5 ans de séances en bénévolat total, je vivais grâce à mon allocation de recherche, mes cours à la fac et l’aide de mes parents. Cette décision avait du sens pour moi, c’était un contrat que j’avais passé avec moi-même et je ne le regrette absolument pas. J’ai ainsi pu construire, étoffer ma méthode de travail, élargir mon réseau, sans pression financière.

Juste après avoir soutenu ma thèse, en 2004, j’ai été embauchée par l’AS Saint-Étienne, qui évoluait alors en Ligue 1, grâce à Omar da Fonseca. À l’époque, il exerçait comme conseiller de la cellule de recrutement des Verts. Il venait régulièrement voir des matches à Libourne. Jean-Marc nous avait présentés. Omar est un homme habité par la curiosité avec lequel toute conversation est endiablée. Il s’était intéressé à mon métier, à ma méthode de travail. Nous avions échangé et quelque temps après, il m’avait proposé d’intervenir au centre de formation de Saint-Étienne.
Nos chemins se sont alors séparés avec Jean-Marc mais je ne me suis jamais vraiment inquiétée. Je savais que l’on se retrouverait. Quand Jean-Marc est satisfait de sa collaboration avec un intervenant, quand il est convaincu de sa valeur ajoutée pour son groupe, il fait tout pour l’emmener avec lui. À cette période, il était à un carrefour de sa carrière et avait plusieurs propositions de clubs, certains étant professionnels. Il s’est beaucoup interrogé sur la suite à donner à sa carrière, non convaincu de sa volonté de devenir entraîneur professionnel.
Il s’est engagé avec Troyes en Ligue 2 et m’a « rattrapée » en vol. J’ai ainsi cumulé mon travail à l’ASSE avec un rôle similaire à l’Estac, où j’intervenais auprès du groupe professionnel. Je donnais également quelques cours de tennis et de psychologie à la fac de Bordeaux en remplacement d’une professeure agrégée que j’adorais. Je prenais l’avion quatre fois par semaine. C’était un moment de vie très dense, mais précieux.
Ma mission à l’ASSE s’est achevée au bout de trois ans. Avec Jean-Marc, elle a continué, à mesure que notre relation évoluait. Lorsque nous avons entamé notre histoire, nous avons posé immédiatement les limites entre vie professionnelle et personnelle. C’était très important à nos yeux car nous étions parfaitement conscients de la difficulté à laquelle nous allions devoir nous confronter – nous y reviendrons dans une prochaine chronique. Nous sommes parvenus à trouver le bon équilibre, pour preuve : nous avons continué à travailler ensemble à Strasbourg, de 2007 à 2009, puis de nouveau à Troyes, de 2010 à 2015.Depuis cinq-six ans, je travaille moins auprès des clubs, mais davantage en individuel. Je me rends chez des joueurs, des athlètes, motivés par le travail mental, avec le privilège de les observer dans leur environnement, au côté de leurs proches. C’est une chance inouïe que je mesure, et qui m’est possible grâce à mon expérience et mon réseau. J’interviens aujourd’hui auprès d’une quarantaine d’athlètes, de cadres d’entreprises, mais jamais simultanément. Ils apparaissent en fonction de ce qu’ils vivent, de leurs calendriers, des axes de travail sur lesquels ils souhaitent avancer. Certains sont très organisés, d’autres moins. Ils occupent alors une grande partie de mon temps, disparaissent, puis reviennent.Je tiens beaucoup à leur autonomie dans leur relation à ce suivi. Ils en sont les chefs d’orchestre. Je m’adapte à leurs besoins. C’est un équilibre qui me convient. Je continue à donner quelques cours également, à des étudiants de Master ou de diplômes spécifiques, des personnes qui ont envie d’être là. J’aime cet échange, ce partage.

Re: 👥[Staff] Jean-Marc Furlan et son staff

Publié : 30 mai 2022, 17:30
par djej
CHAP 2 La semaine

« Une semaine chez nous, c’est Jean-Marc au centre du système. Ma priorité, et ça a toujours été comme ça entre nous, c’est lui. Après chaque match du week-end, il m’imprime son programme de la semaine et je l’accroche sur le frigo. Je lui demande toujours s’il a des obligations supplémentaires qui ne seraient pas inscrites noir sur blanc. Histoire de ne rien oublier. Puis, je calque mon emploi du temps sur le sien. J’organise mes rendez-vous, mes déplacements en fonction de sa présence. J’en viens parfois à me dire : « Tiens, je suis à J-2 du match », alors que je ne joue pas… Et heureusement pour tout le monde !
J’ai ce questionnement permanent : comment organiser notre quotidien pour faciliter son travail, sa récupération, sa tranquillité d’esprit ? Au cours de sa semaine, je veux faire en sorte qu’il n’ait rien d’autre à penser que ses entraînements et la performance à venir. L’idée est qu’il dispose de toute son attention, de toutes ses forces pour être pleinement présent et efficace dans son métier. Je l’assume sans détour : dans notre quotidien, tout est organisé pour lui, pour faciliter sa vie et l’aider à porter le poids qu’il ressent parfois sur ses épaules.
Cette philosophie agace certaines de mes connaissances ou amies, mais c’est difficile à comprendre quand on ne le vit pas de l’intérieur. Je vais essayer de vous l’expliquer. Les gens ne se rendent pas toujours compte mais, depuis de nombreuses années, l’entraîneur de football de haut niveau n’est plus seulement le gars en short avec un sifflet autour du cou. Sa semaine est loin de se résumer à passer deux heures par jour sur le terrain à diriger des entraînements. L’ampleur et l’étendue de ses tâches sont d’ailleurs devenues effrayantes.

Alors, bien sûr, Jean-Marc est « un short » et « un sifflet ». Il fait d’ailleurs partie des entraîneurs qui continuent à créer et animer leurs séances d’entraînement. Il adore réfléchir à leur création, composition, s’informer sur ce qui est réalisé ailleurs, s’en inspirer. À ce sujet, c’est un chercheur permanent. Il parle d’ailleurs de ce travail comme d’une distraction qui lui offre de se changer les idées. Ce mode de fonctionnement lui permet de transmettre sa philosophie de jeu, l’une des rares certitudes de sa vie. Tous les deux jours, ses équipes doublent (elles s’entraînent matin et après-midi). En France, c’est plus que la moyenne. Rien ne l’énerve plus que de s’entendre dire que les joueurs sont fatigués et/ou en situation de surentraînement. Sujet à risques… S’abstenir !
Jean-Marc est un dernier mot. Pour tout. Il est à l’origine, au virage et à la conclusion du travail vidéo, de la préparation physique, mentale, de la récupération… Bien sûr, il a un staff élargi qui gère avec efficacité ces tâches au quotidien. Heureusement. Mais c’est Jean-Marc qui est à la baguette, dicte les orientations et prend les décisions.

Jean-Marc est un manager. Il gère un groupe d’environ trente personnes, donc autant de personnalités, de corps et d’egos. Il doit être attentif à tout, tout le temps. Il est tenu de garder la tête froide lorsque tout le monde s’affole afin de protéger son groupe de l’environnement, des critiques, des phrases toutes faites, des recettes miracles des uns et des autres. Il est de notoriété publique que tout le monde « sait » comment il convient d’agir dans le football…
Jean-Marc est une oreille. Depuis de nombreuses années, il multiplie les entretiens individuels avec les garçons. Il n’en fait jamais plus de trois dans une journée, car il les écoute, vraiment. C’est un exercice qui prend du temps, de l’énergie et demande beaucoup de présence, mais il est nécessaire. Les joueurs en ont besoin. Ce sont les rares moments où Jean-Marc les extrait du groupe et leur montre qu’il les voit eux, en tant qu’individu.
Jean-Marc est une vigie. Le poste d’entraîneur étant en première ligne, il doit aussi veiller à développer et entretenir une relation avec le directeur sportif, le directeur général, le président, les actionnaires. Il passe régulièrement au centre administratif. Il aime plaisanter avec tout le monde, échanger. Sa relation avec ses attachés de presse est toujours spéciale et je dois leur attribuer beaucoup de flegme car Jean-Marc n’est pas toujours facile à driver… Les jardiniers sont également des personnes importantes à ses yeux. Sans parler du chauffeur de bus qui, à l’heure actuelle, est son « sponsor chocolat » n°1. Il multiplie ces moments par plaisir, le côté humain compte beaucoup pour lui, mais aussi afin de « surveiller tout l’horizon ». Le caractère systémique de la réussite est au cœur de ses préoccupations.
Jean-Marc est une patience. Il prend toujours le temps de s’arrêter, de discuter, d’échanger avec les supporters de ses clubs. Même en situation de crise, même lorsqu’ils sont désagréables, il leur répond avec calme. Toujours. Il m’impressionne. Pourtant, il arrive que certains nous « bousculent » dans notre quotidien, dans la rue ou au restaurant, et jamais je ne l’ai vu perdre son sang-froid face à ces situations. Dans ce genre de moments, c’est plutôt de moi qu’il convient de se méfier…
Jean-Marc est un communicant. Il se rend en conférence de presse toutes les semaines, c’est la règle du jeu. Il donne des interviews individuelles, répond à une offre média qui s’est étoffée et diversifiée. Sans oublier les partenaires, qui souhaitent parfois sa présence pour telle ou telle opération. Puis, ne sous-estimons pas le nombre de courriers qu’il reçoit, les centaines de sms qui inondent son portable pour les grandes occasions. Les gens lui écrivent de la France entière. Il aimerait répondre à tous, mais ne dispose pas du temps nécessaire. Et ça l’ennuie. Croyez-moi : l’entraîneur aurait besoin d’un secrétariat.
Jean-Marc est une « incarnation ». Il est l’un des visages de « l’équipe référence » de la région. Les sollicitations sont par conséquent nombreuses : un petit club du coin fête son anniversaire et désire une vidéo ; un autre aimerait qu’il soit présent pour l’inauguration d’un terrain, d’un vestiaire. Parfois, le maire l’invite pour ses vœux ou toute autre manifestation. Les demandes se sont beaucoup diversifiées ces dernières années et il est souvent difficile de satisfaire tout le monde.

Pour Jean-Marc, l’ensemble de ces tâches relève d’une certaine logique. Il a cette phrase, de temps à autre : « Nous, entraîneurs, joueurs, appartenons au peuple. » Je suis en total désaccord avec ça. Parvenons à nous appartenir à nous-mêmes déjà ! En même temps, je comprends qu’il ait cette impression. Face à la variété de ses tâches, Jean-Marc court constamment contre le temps. Ses journées ne sont jamais assez longues. Le soir à table, il râle souvent contre lui-même, me disant qu’il n’a pas réussi à tout faire, à répondre à toutes les attentes. Il se focalise sur les tâches qu’il n’a pas pu accomplir et minimise le reste. Il ne veut pas décevoir les gens et tout manquement le peine sincèrement.
C’est parce que son travail est d’une folle densité que Jean-Marc est la priorité de mon quotidien. Je veux le « placer » dans les meilleures dispositions. Pour faciliter les prises de décisions, il est important qu’il soit le plus « frais » possible dans sa tête. Par conséquent, je veille à installer une certaine routine dans notre vie. C’est une base saine, paisible, rassurante. Elle permet de mieux accepter, gérer les imprévus, omniprésents dans le sport de haut niveau, où il convient sans cesse de s’adapter aux blessures des uns, aux soucis des autres, à l’exigence de l’environnement…
C’est très contrariant lorsque notre petit équilibre se brise, que les rares moments où nous avions prévu de profiter deviennent un simple instant où nous nous croisons. Après vingt ans de vie commune, Jean-Marc et moi adorons passer du temps ensemble. C’est aussi pour cela que je calque mon emploi du temps sur le sien, pour pouvoir bénéficier de chaque interstice, de chaque coin de ciel bleu dont nous pouvons nous enrichir l’un l’autre.
Je me lève donc à la même heure que lui. Il a l’habitude d’arriver au stade aux alentours de 9 h chaque matin. Je commence mes rendez-vous souvent plus tard dans la matinée, donc je pourrais rester au lit, grappiller du sommeil, mais je tiens à commencer ma journée avec lui. Il se prépare, je fais le petit-déjeuner. J’adore cuisiner. Une fois prêt, il entre dans la cuisine, s’approche de sa tablette et me demande, très souvent : « Mon cœur, tu veux écouter quoi comme musique ce matin ? » Sachez qu’il y a toujours un fond musical chez nous. Nous aimons les belles voix, comme Adèle, ou les standards de la chanson française de toutes les générations : Chimène Badi, Céline Dion, Vianney, Christophe Maé, Johnny… Sans oublier nos amis belges : Stromae et Angèle. Et tant d’autres.
Ces matins sont des moments précieux. Nous nous retrouvons là, le soleil irradiant parfois la cuisine, à prendre le thé et le café, à écouter de la musique et à observer le bal des oiseaux sur la terrasse, picorant les graines que je place dans leur petite cabane. Pas de journaux sur la table (nous ne les lisons jamais), pas de vie du club dans nos conversations. Nous échangeons sur nos lectures en cours, sur nos semaines, sur nos familles. Je chante, aussi. Jean-Marc aime m’entendre fredonner des mélodies. Nous prenons de la hauteur. Nous prenons le temps. Nous sommes heureux, tout simplement. Puis, il part et chacun commence sa journée de travail.
Les jours où il double les entraînements, il déjeune au stade mais rentre toujours en début d’après-midi pour faire une sieste d’une heure. C’est sacré pour lui. C’est devenu sacré pour moi. Je bloque toujours ce créneau. Je m’assois dans le canapé. Je ne dors pas. Je lis, je réponds à des mails, je regarde la tablette. Et je veille surtout à ne faire absolument aucun bruit. Je profite de sa présence, tout simplement, avec la musique en fond, toujours. Puis, il repart au stade et je retourne à mes rendez-vous.

Nous nous retrouvons à la maison aux alentours de 20 h. Quand Jean-Marc a fini sa journée, il est extrêmement facile à vivre. Il ne demande et n’impose jamais rien. Alors quand il rentre, que je lui demande ce qu’il a envie de manger ou de faire de sa soirée, il me répond tout le temps : « C’est comme tu veux mon cœur. » Et si j’insiste, il ajoute : « Des choix, j’en fais toute la journée. Comme tu décides, ce sera bien. » Oui, entraîner, c’est choisir. Tout le temps. Vous savez, Jean-Marc ne se sépare pas de son « costume d’entraîneur » quand il ferme la porte d’entrée de la maison. Loin de là. Le soir, il arrive fréquemment qu’il soit à la fois présent et absent, dans un espace-temps entre le club et la maison. Physiquement, il est assis là, avec moi. Mais dans sa tête, il est encore à l’entraînement, il se projette dans la performance à venir. Plein d’idées se bousculent. Il ne s’en rend souvent pas compte.
Parfois, sa présence, pleine et entière, me manque. Mais ce n’est pas frustrant, je l’ai toujours connu comme ça. Je m’adapte à ses absences. Au fil des années, elles sont devenues des « colocataires ». Elles sont deux sœurs, d’ailleurs. Il y a les absences de quête, de recherche, de créativité. Elles sont faciles à distinguer : dans ces moments-là, Jean-Marc est entouré de dossiers, de livres et soudain il prend son stylo et son cahier pour coucher sur le papier ce qui lui passe par la tête. Quand il est dans la création, je le laisse dans son monde. Je sais que c’est un moment précieux qui lui permet à la fois de se changer les idées et d’avancer dans la gestion de son équipe.
Bon, je reconnais que je ne résiste parfois pas à l’envie de m’amuser. Quand je vois que je parle et qu’il ne m’écoute pas, je le teste en lâchant une grosse bêtise : « J’ai dévalisé la banque de la rue principale aujourd’hui », pour voir s’il revient à moi. Parfois, il sursaute et me dit : « Hein ? Quoi ? ! » Et nous en rions. D’autres fois, il ne réagit pas et là, je me dis qu’il est vraiment dans ses pensées. Je le regarde alors vivre cette implication totale, ce flow cher aux athlètes de haut niveau, et je le laisse travailler.

Et il y a ces autres « colocataires », ces autres « absences de présence » de Jean-Marc. Ce sont des moments plus graves, des moments de frustration, de contrariété, de doute. Elles se reconnaissent au premier coup d’œil : ses yeux se creusent profondément en l’espace de deux heures, son regard se fait dur et ses mâchoires se serrent. C’est fou comme son visage peut changer si vite, j’en ai toujours été impressionnée. Là, je considère que c’est ma responsabilité de le ramener à la réalité, au présent. Pour cela, la cuisine est une arme redoutable. Chez nous, les pires moments de doute se compensent avec les meilleurs repas. Quand il est vraiment peiné, le dîner devient gastro : j’ouvre une bouteille de champagne, je sors la boîte de foie gras de ma grand-mère – nous venons du Sud-Ouest, ne l’oubliez pas ! -, je fais cuire les Saint-Jacques dans la poêle – une pensée pour mes regrettées Saint-Jacques de la Rade de Brest -, je mets un bon poisson dans le four et je prépare une belle poêlée de légumes comme il les aime.
Je lui dis souvent dans ces moments-là : « Jean-Marc, regarde : nous sommes là, ensemble, heureux, en bonne santé. Tes enfants vont bien. Certes, nous perdons en ce moment, mais nous travaillons dur. Parfois, les choses nous échappent mais c’est la règle du jeu. ». Pour les moments vraiment difficiles, sachez que j’ai deux bottes secrètes : le tiramisu en dessert – il reste fidèle à ses origines italiennes. Et le chocolat, dont il est totalement barjot : je peux mettre une tablette sur la table et il la dévore dans la soirée. Je suis obligée de réglementer les carrés ! Plus sérieusement, je refuse que le résultat d’un match de football dicte nos humeurs, nos émotions et notre vie entière. Une passion est un cadeau tant qu’elle est harmonieuse, si elle devient obsessive, elle devient dangereuse. Je veille donc à protéger sa passion pour le football comme il convient de protéger une relation.
Et puis, certains soirs, Jean-Marc a envie de parler. Il me raconte ses journées, il partage ses hésitations. Il en ressent le besoin car je crois être l’une des seules personnes de son entourage, avec ses enfants, qui lui dit toujours ce qu’elle pense. C’est une qualité assez rare dans le monde du football… Alors, oui, je ne lui dis pas ce qu’il veut entendre. Il le sait et je pense que ça l’aide dans sa réflexion même si je lis parfois sur son visage qu’il me réserve un traitement de faveur en accueillant mes propos sans s’agacer. Je pense sincèrement qu’il « recherche » ces désaccords. Nous ne faisons pas qu’entendre les propos de chacun. Nous nous écoutons.
Avec moi, il peut raconter ce qu’il veut, décharger le poids qu’il souhaite. Il partage souvent ses analyses, ses perplexités, ses interrogations sportives sur le groupe qu’il alignera le week-end. Là, je l’écoute, j’accueille ses arguments, mais, à aucun moment, je ne juge. Je ne suis pas là pour le conseiller de choisir tel ou tel système ou joueur, beaucoup d’autres s’en chargent déjà ! J’en suis bien évidemment totalement incapable et mon rôle est ailleurs. Je suis juste là pour lui donner toute mon attention, lui poser les questions qui pourront l’aider à clarifier sa pensée. « La mise en récit » est un outil pertinent pour accompagner les prises de conscience et les décisions.
Il m’arrive en revanche de partager mon ressenti, mon avis sur la gestion humaine des joueurs. Il serait regrettable que mon doctorat de psychologie du sport lui soit inutile. Je me souviens d’une anecdote toute simple lors de l’une de nos collaborations professionnelles. Dans l’effectif, nous avions un joueur qui, dès qu’il entrait dans un bureau, croisait les bras, s’asseyait au fond de sa chaise, et fronçait les sourcils. Et celui du coach ne faisait pas exception. Durant les mois précédents, il avait passé une bonne partie de sa vie dans les cabinets de nombreux médecins, pour cause de soucis de santé. J’avais suggéré à Jean-Marc de le convoquer hors de son bureau, au bord du terrain ou sur la pelouse. Il avait tenté l’expérience ce qui avait fluidifié leurs échanges et leur relation. Ils s’en amusent tous les deux beaucoup aujourd’hui.

C’est difficile de prendre soin des autres si vous ne prenez pas soin de vous. Pour être pleinement à l’écoute, apporter la présence qu’il convient, il est important que je sois équilibrée. Je peux me confier à Jean-Marc, mais je ne peux ni ne veux lui parler de tout. Je suis là pour l’alléger, non pour l’alourdir. Je lui raconte mes cours universitaires en psychologie du sport, je lui parle des étudiants et de leurs travaux. Je lui demande son avis sur une présentation pour une conférence.
Mais je n’échange pas sur les athlètes avec lesquels je travaille en préparation mentale. Je ne l’ai jamais fait. C’est confidentiel. C’est une barrière que nous avons toujours respectée. Cependant, il arrive que des joueurs me racontent des choses lourdes, pesantes, des histoires de famille dures, violentes, que j’ai besoin d’évacuer. Nous parlons très peu de la santé mentale des joueuses et joueurs de football, des cas de dépressions. Rares sont les acteurs d’une profession à être autant mis en lumière et pourtant si mal connus. J’aurais l’occasion de vous en parler lors d’une prochaine chronique.
Bref, l’empathie dont vous faites preuve dans les professions d’accompagnement puise à l’excès dans votre énergie mentale ce qui peut conduire à une véritable « fatigue de compassion ». Pour l’éviter, ma maman Michèle est une merveilleuse confidente de tous les instants mais, en tant qu’intervenante, cela ne peut me suffire. Je veille donc à consulter une psychologue lorsque c’est nécessaire afin que la qualité de la prise en charge que je prodigue aux athlètes ne soit pas altérée.

Durant nos semaines avec Jean-Marc, nous essayons de nous créer des bulles pendant lesquelles nous coupons, nous soufflons et nous nous régénérons. Elles sont fréquentes en lendemain de matches. Nous passons ces moments à la maison, tranquille, tous les deux. Nous avons une grande passion commune : la lecture. Nous pouvons lire chacun trois à quatre heures d’affilée dans le canapé du salon. Nous aimons partager nos lectures, nos goûts, nous conseiller. Nous aimons les polars (Bussi, Minier, Nesbo, May…), les biographies d’athlètes, les livres de développement personnel, comme ceux de Christophe André, ou de psychologie positive, qui peuvent semer des graines dans son esprit pour son travail. Nous avons également chacun notre « jardin » : des ouvrages de psychologie du sport pour moi et des livres de football, de systémique pour lui. Vous l’aurez compris, le foot et le travail ne sont jamais bien loin dans nos vies.
Le ballon rond envahit parfois l’écran de notre TV. Je suis d’ailleurs beaucoup plus souvent au courant que lui des matches diffusés dans la soirée. Nous en rigolons. Je lui demande s’il veut les regarder, et il me répond fréquemment : « Oh, non, mets plutôt une série que tu aimes. » Il « mange » du foot toute la journée, alors, le soir, il a envie de quelque chose qui le recentre, l’apaise, et lui offre de faire le tri dans sa tête. J’ai la même logique que lui : je préfère les films policiers ou fantastiques que les histoires de vie, de séparation, de doute, que j’entends régulièrement lors des entretiens individuels. Nous n’avons pas envie de regarder des programmes qui nous torturent. Nous avons besoin d’être amenés ailleurs, de nous évader loin de ce qui tourne en boucle dans nos esprits.
Disons-le clairement : nous avons très peu de vie sociale. En vingt ans, nous avons dû aller deux fois au cinéma. C’est à la fois choisi et subi. Nous avons des vies très dynamiques, constamment au contact des gens, donc nous aimons être tranquilles chez nous quand nous avons du temps. Puis, sortir, a fortiori en périodes de défaites, c’est devoir se blinder, prendre le risque d’être reconnu, apostrophé, parfois critiqué, voire menacé. Je vous en parlerai bientôt.
Jean-Marc et moi adorons voyager. Nous sommes amoureux de la Grèce, de la Crête en particulier. Nous y allons quasiment chaque année. Nous avons également un petit faible pour l’Asie. Mais nous avons des vies prenantes, qui empêchent de partir loin pendant longtemps. Alors je compense. Le salon de la maison est une invitation au voyage. J’ai habillé la pièce de Bouddhas, de meubles rouges asiatiques, de lumières tamisées, de bougies. C’est calme, à l’opposé de l’agitation extérieure du quotidien. C’est un cocon, parfait pour que Jean-Marc soit serein, s’évade et débranche.
Voici à quoi ressemblent nos semaines avec Jean-Marc. C’est une vie de fous pour certains, mais c’est une vie fluide, une routine rassurante, une organisation millimétrée et nécessaire pour vivre avec sérénité, pour être heureux. Cette semaine, c’est un ensemble de repères précieux, de refuges, avant la tempête que représente, chaque week-end, le match. Je vous la raconterai lors de ma prochaine chronique. Prenez soin de vous et à vendredi prochain. »

Re: 👥[Staff] Jean-Marc Furlan et son staff

Publié : 30 mai 2022, 17:31
par djej
CHAP 3 L’avant-match :
« Les matches sont les fidèles compagnons de route de nos vies. À Auxerre, en Ligue 2, ils ont majoritairement lieu le samedi soir. Dès le dimanche précédent, Jean-Marc s’interroge sur l’équipe qu’il va aligner. Au fil des jours, il continue de nourrir ses réflexions. Sa tension à l’approche d’un match est à l’échelle de ce qu’il ressent lors des entraînements de la semaine. Même si l’incertitude est décuplée dans le foot, il me semble qu’il parvient, avec l’expérience, à mieux accueillir l’événement, en particulier son imprévisibilité. Il peut même arriver à quelques occasions qu’il « glisse » vers le match avec sérénité. Ça me semble déjà un petit exploit en soi pour un entraîneur dont le poste est si précaire.
Selon certains écrits, le stress « consisterait en une transaction entre la personne et l’environnement dans laquelle la situation est évaluée par l’individu comme débordant ses ressources et pouvant mettre en danger son bien-être » (Lazarus & Folkman, 1984, p.141). En bref, lorsque le sujet considère ne pas avoir les ressources pour gérer les exigences de l’événement, le stress apparaît. J’ai l’impression que le vécu des matches de Jean-Marc illustre parfaitement ce modèle. En l’observant, c’est comme si j’étais témoin des évaluations cognitives qui se réalisent au plus profond de lui : que représente cet évènement ? Un défi ? Une menace ? Nos capacités d’adaptation, nos forces sont-elles suffisantes ?

En règle générale, son comportement change à partir du vendredi matin. Certaines fois, je perçois que la balance entre les exigences de sa rencontre et ses ressources est déséquilibrée. Il se sent comme « menacé ». Ses absences sont alors plus lourdes, plus longues. Il est anxieux. Son visage marque davantage, ses yeux se creusent à la moindre contrariété. Le marqueur le plus important reste le dialogue. Plus Jean-Marc est stressé, moins il parle, moins il écoute. Le vendredi n’est pas le moment de lui parler de choses importantes hors football, de le solliciter pour prendre de grandes décisions pour l’avenir.

La veille d’une rencontre, Jean-Marc est comme une cocotte-minute. L’enjeu est d’éviter au maximum de la faire bouillir. À la moindre maladresse, sur les sujets évoqués ou le ton employé, elle peut déborder. Dans son esprit se joue alors un trop-plein d’inquiétudes, d’interrogations, d’émotions, si bien qu’un détail peut le faire basculer. Tous ceux qui ont travaillé, ou travaillent, avec lui le savent : lors de ces moments, Jean-Marc est extrêmement déstabilisant. La très grande majeure partie du temps, il est une magnifique personne, attentive, calme, drôle, généreuse, à la disposition de tous. Cet homme-là est le « vrai » Jean-Marc, celui que j’aime et qui vit avec moi au quotidien. Mais, en situation de stress, il existe un petit diablotin en lui. S’il sort de sa boîte, il faut avouer que Jean-Marc devient méconnaissable. En un dixième de seconde, il disjoncte, crie, tape du poing sur la table, peut éventuellement casser un tableau du vestiaire. Ce sont des colères intenses, à l’antithèse de sa profonde gentillesse.
Si j’ai choisi d’en parler avec vous, c’est qu’il faut que vous sachiez une chose : ces colères ne sont jamais directement liées à lui, son ego et ses propres intérêts. Non. C’est bien plus profond, de l’ordre de son éthique de travail, de la représentation qu’il se fait du sport de haut niveau et de son organisation. Il ne se met jamais en colère pour se protéger. Il s’accorde trop peu d’importance pour ça. Il se met en colère pour protéger son idée du football, son groupe, les paramètres qu’il considère nécessaires à la performance. Le club dans lequel il exerce est toujours au centre de son système ; il ne vit chaque jour que dans le but de le faire progresser alors, s’il estime que certaines choses vont à l’inverse de cette priorité, si l’une de ses convictions profondes est ébranlée, son petit diable apparaît.
Je vous donne un exemple, quand l’une de ses équipes se déplaçait au Parc des Princes. À la mi-temps, deux de ses joueurs se prennent sérieusement la tête dans le vestiaire. Jean-Marc arrive, le voit et pique une colère terrible. L’idée d’une dissonance entre deux de ses joueurs dans le sanctuaire que représente le vestiaire, lors du moment si précieux de la mi-temps d’un match, lui est insupportable. C’est l’irrespect envers le football, le travail réalisé la semaine, qui le fait basculer.
Je pense qu’il a toujours vécu avec ce petit diable en lui. Je n’ai pas connu Jean-Marc lors de sa carrière de joueur, mais certains proches et d’anciens coéquipiers m’ont raconté qu’il avait, sur le terrain, la réputation d’être « un malade ». Il le confirme lui-même sans détour. Je me suis souvent interrogée : les matches faisaient-ils alors figure d’échappatoire pour lui ? Étaient-ils les seuls moments où il s’autorisait à laisser son diable s’exprimer ? Quand il a rangé ses crampons, le petit diable ne s’est pas « rangé », lui. Alors il fait « quelques sorties » de temps en temps. Jamais à la maison.
Le football est toujours à l’origine de ces débordements et quand ils ont lieu, l’après coup est très difficile. Il se sent toujours mal d’avoir réagi ainsi. Personne n’aime se retrouver face à ses démons, Jean-Marc n’échappe pas à la règle. Dans ces cas-là, je l’écoute et l’aide à retrouver son état d’équilibre. Sachez aussi que ces colères donnent lieu, a posteriori, à des fous rires incroyables… Quand nous passons une soirée avec des anciens joueurs, devenus amis, les récits s’enchaînent, les imitations pleuvent. J’aime énormément ces moments. En devenant des fous rires, ses colères prennent un sens nouveau. C’est un petit peu comme si la boucle était bouclée

Le vendredi matin est souvent un moment de tension. C’est une journée spéciale associant la conférence de presse d’avant-match et le dernier entraînement avant la rencontre. Même notre chien Paô le sent. Le reste de la semaine, il profite du petit-déjeuner pour venir aux pieds de Jean-Marc et réclamer, de son regard implorant de cocker, des petites gourmandises à grignoter. Jean-Marc lui en donne tout le temps – je n’ai aucun contrôle sur cette situation ! Mais le vendredi matin, c’est différent. Paô ressent vraisemblablement la dureté et la fermeture qui émanent de Jean-Marc. Ce jour-là, il ne vient généralement pas à ses pieds. Il se couche dans un coin, fait la carpette et ne bouge plus. Il attend que ça passe. Un petit peu comme moi d’ailleurs. Après un temps de lecture au cœur duquel il cherche l’apaisement, Jean-Marc s’en va au stade pour la dernière journée d’entraînement. Paô redevient « le petit fou » – comme l’a surnommé un de ses joueurs. Moi, je commence ma journée.

Le vendredi soir, Jean-Marc a pour habitude de manger avec les joueurs. Enfin, « manger » est un bien grand mot. La veille d’un match, son appétit est déjà limité. C’est un autre homme, bien différent de celui qui est parti le matin, qui rentre ensuite à la maison. À ce moment-là, les choses sont plus claires dans sa tête. La semaine est finie. Il l’a consacrée à préparer le match et à passer en revue sa check-list des tâches destinées à mettre son groupe dans les meilleures conditions pour être performant, ce qui, éventuellement, permettra de gagner. N’en déplaise à quelques-uns, le résultat reste une donnée très incertaine liée à de nombreux facteurs extérieurs et c’est bel et bien le plus cruel : vous avez beau travailler très dur, consacrer votre quotidien au football, rien ne peut vous assurer la victoire. Il n’en demeure pas moins que le vendredi soir, Jean-Marc est serein, disponible, souriant, bavard. Le vendredi soir, chez nous, est une petite bulle apaisante, une parenthèse sécurisante, maintenant la tempête à venir à distance.

Nous traînons un peu sur le canapé, nous nous mettons un film ou une série. Souvent, il profite aussi de cet état d’équilibre pour écrire. Depuis de nombreuses années, Jean-Marc tient une sorte de journal de bord, où il confie ses réflexions et prises de conscience. Beaucoup d’athlètes de haut niveau s’adonnent à ce travail. Il note les événements qu’il a vécus dans la semaine, les anecdotes dont il veut se souvenir. Je ne lis pas. C’est à lui, c’est pour lui. Bon, parfois, je jette des petits regards en coin quand il écrit avec entrain et que les touches de sa tablette s’activent. Je vois que cette activité contribue à le recentrer et à l’ancrer dans le présent de notre soirée.
Jean-Marc aime écrire à la main, aussi. Il a une belle graphie, toute fine. Il rédige tous ses entraînements, son travail du quotidien dans des cahiers et il a une autre particularité : il écrit des cartes postales qu’il choisit avec soin toutes les semaines à ses enfants. Elles sont pleines d’humour et de tendresse. Je trouve ça extrêmement touchant car il me semble que cette habitude se perd à l’ère du numérique. Pourtant… Il suffit de voir leur bonheur de recevoir ces cartes dans leurs boîtes aux lettres pour comprendre qu’un mail ne pourra jamais remplacer les écrits.

Puis, vient l’heure du coucher. Parfois, l’angoisse du match s’immisce en Jean-Marc à son insu, par l’intermédiaire de son sommeil. Comme si elle profitait qu’il ne puisse pas se défendre. Je m’explique. Il m’arrive de dormir à poings fermés, de rêver et, d’un coup, d’entendre une voix familière, si familière, qu’elle ne peut pas être dans mon rêve. Alors, j’ouvre les yeux et je comprends que Jean-Marc parle de foot dans son sommeil. Je l’ai déjà entendu dire : « Ok, alors là, ils se retrouvent à deux devant le but, et on fait quoi ? » La première fois, ça surprend. Puis, ça fait sourire. Parfois, je lui réponds : « Écoute mon cœur, moi, je ne sais pas. Mais je pense que tu trouveras la solution demain. » Ça le réveille légèrement, il ne comprend pas vraiment la scène qui se joue et se rendort.
Ces moments restent rares. Jean-Marc est un entraîneur chanceux, il dort plutôt bien. Son sommeil est finalement un excellent marqueur de son état. S’il dort mal, c’est que la tension est trop extrême. Dans les périodes les plus difficiles, il lui arrive aussi de rêver que son équipe encaisse des buts, de se voir perdre complètement pied, se démener comme un fou sans pouvoir changer le cours du match. Voici, je pense, parmi les pires cauchemars des entraîneurs, les privant de paix au cœur même de leurs nuits. Existe-t-il seulement un endroit où le football ne s’invite pas dans leurs vies ?

La tension revient au réveil le samedi matin, le jour du match. Au petit-déjeuner, Paô reste discret. Jean-Marc part au stade vers 9 h 30 pour le rassemblement et la mise au vert. À partir de là, c’est l’heure de prendre soin de moi, de faire les choses que j’aime. Je commence par un peu de vélo d’appartement, minimum 40 minutes. J’ai toujours eu besoin de faire du sport, de transpirer, de mettre mes jambes en mouvement pour compenser tous ces allers-retours en voiture entamés lors de ma vie étudiante. Dix ans d’études en Faculté des Sciences du Sport ne s’oublient pas du jour au lendemain !
Puis, je m’installe pour m’adonner à mon plaisir favori : la lecture. Je suis contente car je sais que je vais pouvoir lire 2 à 3 heures d’affilée, sans interférence. Je lis des ouvrages de psychologie positive, de développement personnel, qui m’aident à me recentrer. S’il fait beau, je m’installe sur la terrasse, au soleil, avec un thé. Je m’interromps parfois pour regarder la nature et profiter de l’air frais. Je ne vois jamais personne le samedi matin. Je ne communique pas avec Jean-Marc. Je ne pense pas au match. C’est mon moment. Le temps est suspendu. Inconsciemment, en bullant, je cherche le calme du matin avant la tempête du soir.

Vers 13 h 30, ma maman me rejoint à la maison. Je lui prépare ce qu’elle aime pour grignoter. Ma maman est une petite pièce, elle pèse 40 kg. Elle ne mange pas en grande quantité. Ce qu’elle aime, ce sont les « bêtises » comme elle se plaît à le dire, les petites tartines de tarama, les petits bols de poulpes sautés à l’espagnole, les petites rondelles de saucisson. Oui, le samedi midi, à la maison, c’est tapas sur le comptoir de la cuisine, avec un petit verre de Chablis. C’est notre rituel d’avant-match. Si nous avons le bonheur d’avoir les enfants de Jean-Marc pour le week-end, le grignotage s’étoffe ! J’adore leur faire plaisir et cuisiner pour eux. À cet instant, nous sommes tous conscients que nous avons « rendez-vous » avec l’inquiétude du match dans quelques heures mais nous choisissons de le laisser de côté. Nous sommes cependant lucides : ce que nous allons vivre au stade va quelque part « dicter » notre dimanche, même si Jean-Marc prend bien évidemment beaucoup plus sur lui lorsque ses enfants sont là. Leur présence est l’assurance d’une déception plus mesurée si jamais la défaite s’invite. Je vous parlerai de l’après-match dans une prochaine chronique.
Vers 15 h, après sa sieste, Jean-Marc m’appelle depuis l’hôtel où l’équipe se retire en mise au vert. À son premier mot, je sais dans quel état il est. Quand il est tendu, sa voix est dure, caverneuse, grave, parfois rauque. Il arrive que nous nous racontions des banalités pour ne pas penser au match. Puis, il aborde LE sujet, me partage ses dernières interrogations et inquiétudes. Je l’écoute espérant le décharger quelque peu de ce « trop-plein émotionnel », j’essaie de le rassurer, de le ramener sur « nos bases ». J’ai souvent cette phrase qui a son petit effet : « Tu sais Jean-Marc, après ces 90 minutes, je t’aimerai toujours autant. Le football est incertain mais, mon amour pour toi, lui, est immuable. » Ça le fait sourire, je l’entends dans sa voix, j’aime à penser que ça lui fait du bien. Quand l’appel se termine, le match occupe totalement mon esprit. La contagion émotionnelle a eu lieu. Je suis « dedans ». À partir de là, le temps passe très lentement. Je suis dans l’attente de ce moment qui va conditionner le reste de notre week-end.

Cécile Traverse : « Vers 15 h, après sa sieste, Jean-Marc m’appelle depuis l’hôtel où l’équipe se retire en mise au vert. À son premier mot, je sais dans quel état il est. Quand il est tendu, sa voix est dure, caverneuse, grave, parfois rauque. » | DR
Quand je jouais au tennis, j’étais très superstitieuse. Lors d’un tournoi, en cas de victoire en matinée, je demandais à ma maman de laver ma tenue pour la remettre lors du match de l’après-midi. N’étant plus sur le terrain et en tant que professionnelle, j’ai perdu toutes ces petites habitudes. Aujourd’hui, je n’ai pas de code vestimentaire particulier pour les rencontres. Quelques années auparavant, je mettais une belle tenue, restais un peu dans les salons avec les autres proches de l’équipe. Désormais, c’est fini. Je ne m’apprête pas spécialement. Je viens juste pour le match, un moment précieux, puisque c’est ma seule sortie de la semaine. Je ne travaille pas le week-end. Dans mon domaine d’intervention, je considère que les séances doivent être réalisées avec régularité sur la saison. L’idée est de former les joueurs à une préparation mentale autonome à la compétition, pas de les rendre dépendants à votre présence.

À Auxerre, nous habitons près du stade de l’Abbé-Deschamps. Je ne manque aucune rencontre à domicile. Avec ma maman, nous partons de la maison au dernier moment, vers 18 h 30, soit une demi-heure avant le coup d’envoi. Je ne veux pas être vue, être repérée car cela peut donner lieu à des conversations, des réflexions que je préfère éviter. Le jour du match, j’aime être transparente. Nous garons toujours notre voiture sur le même parking, près du gymnase. Jean-Marc m’appelle souvent de nouveau dans ces eaux-là. C’est le moment où ses joueurs sont à l’échauffement, une éternité pour l’entraîneur, impatient que le match débute. Alors, il tue le temps. Il est dans un entre-deux, partagé entre l’angoisse de la rencontre qui se profile mais aussi un « semblant » de lâcher-prise, le sentiment « du devoir accompli ». Il a donné son équipe, fini sa causerie, choisi ses mots, précisé sa tactique, ses consignes. Les dés sont jetés. La vérité appartient désormais au terrain.
Lors de cet appel, je l’entends aussi inspirer puis souffler. Il fume. C’est le seul moment où il le fait dans la semaine. Enfin… En principe… Parce que je crois que les choses sont en train de « déraper » depuis quelque temps. Aussi étonnant soit-il, le jour du match, la cigarette est l’une de ses ressources contre l’angoisse. Il m’explique qu’à ce moment précis, ces cigarettes lui font du bien et l’aident à contenir sa tension. J’ai beaucoup de mal à m’y faire. Il me fatigue avec ça, vous ne pouvez pas savoir. Je le provoque volontairement : « Tu es un fumeur. » Il s’en défend, nie, alors… qu’il fume. C’est comme s’il considérait qu’à ce moment précis, il n’était plus lui-même.
L’appel s’achève. Avec ma maman, nous marchons jusqu’au stade, rejoignons notre tribune, faisons la queue, montons les escaliers. Nous nous asseyons souvent dans le même coin, mais pas nécessairement sur les mêmes sièges. Nous nous isolons, je me mets dans une bulle, si possible à proximité des femmes de joueurs parce que je sais que leur vécu ressemble au mien. Je vous expliquerai comment je vis le match lors de ma prochaine chronique. À vendredi prochain. Prenez soin de vous. »

Re: 👥[Staff] Jean-Marc Furlan et son staff

Publié : 30 mai 2022, 17:31
par djej
CHAP 4 Le match

« Quand nous nous retirerons du monde du foot avec Jean-Marc, un tas de choses me manqueront. Mais s’il existe bien une chose que je ne regretterai pas, ce sont les absurdités que je peux entendre dans les tribunes. Vous le savez comme moi : dans un stade, vous trouvez autant de spectateurs que d’entraîneurs. C’est la règle du jeu. Je le sais. Je l’accepte. Mais je m’en protège. C’est épuisant d’assister à un match depuis les tribunes quand vous êtes un(e) proche d’entraîneurs ou de joueurs. Je trouve même que c’est parfois un moment extrêmement violent. Certains soirs, vous entendez votre mari, votre enfant, votre frère, votre ami, se faire insulter pendant 90 minutes. N’imaginez pas qu’il soit aisé de le supporter.

C’est un phénomène propre au football. Par mon travail d’intervenante en psychologie du sport, j’ai assisté à des Jeux olympiques, des Mondiaux d’athlétisme, à Roland-Garros, des matches de rugby, des rencontres de handball. L’ambiance y est totalement différente, bien plus fraternelle. Et je le regrette amèrement. Au foot, très souvent, le bonheur inonde la tribune quasi exclusivement lorsque l’équipe supportée mène deux buts à zéro. Dans le cas inverse, les critiques, sifflets et insultes ne sont jamais bien loin. J’exagère à peine. Des nuances existent en fonction des stades et des résultats « en cours », je l’avoue. Il n’en demeure pas moins que j’ai du mal à comprendre comment il est possible de s’installer pour suivre une équipe et passer le plus clair de son temps à critiquer les joueurs qui la composent. Ça me dépasse. Je refuse de m’y habituer, de le banaliser.

À mes yeux, le pire ne réside pas dans une phrase, une insulte ou un sifflet en particulier. C’est leur accumulation, ce flot quasi incessant pendant 90 minutes : une petite pique par ci, une petite insulte par là… En vingt ans de stades, j’ai entendu de sacrées choses… Jeune, il m’arrivait d’intervenir. Quand Jean-Marc entraînait Strasbourg, il y a bientôt quinze ans, excédée par les remarques d’un monsieur sur la faible prestation d’un joueur, alors que sa femme et sa maman étaient assises près de moi, je lui avais demandé de se taire. J’étais mal tombée. Ce monsieur s’est levé, est monté en agressivité. Mais, lui aussi était mal tombé… Pierre Ducrocq, un joueur de l’équipe, n’était pas loin. Il est intervenu et l’a fait se rasseoir… Dans ce même stade, j’ai dû regarder, impuissante, la fille de Jean-Marc, alors âgée de seize ans, quitter la tribune les yeux remplis de larmes tant les insultes dirigées contre son père devenaient insupportables. Tout ça pour une simple rencontre de football.
Je me souviens aussi d’un autre match, il y a de nombreuses années, au Parc des Princes. Un homme, derrière moi, ne cessait de critiquer et d’insulter Blaise Matuidi, avec des propos racistes. Là, c’était trop. Je me suis retournée et je lui ai dit : « Mais vous plaisantez ? Blaise Matuidi est un Français pur jus. Comme moi, comme vous peut-être. Lui, en plus, défend son pays avec le maillot de l’équipe de France en jeunes. Quel est votre problème ? » Parfois, vous êtes vraiment confronté à de la bêtise à l’état pur dans les tribunes. D’autres fois, la haine n’est pas loin.

En revanche, je ne suis jamais intervenue à propos de Jean-Marc. Étant sa compagne, je considère que je dois tenir une certaine ligne de conduite. Je le représente, en quelque sorte. Donc je prends sur moi. Pourtant, c’est si dur parfois. À ces gens, j’ai souvent envie de demander, tout simplement : « Mais que voulez-vous de plus de lui ? » Je pense vous l’avoir montré à travers mes chroniques précédentes : Jean-Marc dédie sa vie au football et à ses équipes. Nous ne pouvons pas faire davantage. Nous sommes les premiers à vouloir être performants et gagner. Nous nous levons tous les jours pour ça. Nous organisons notre vie pour ça.
Aujourd’hui, avec l’expérience, mon seuil de patience s’est étendu. Je n’interviens plus. Je prends sur moi. La semaine passée, je vous parlais du petit diable de Jean-Marc qui s’exprime parfois dans l’exercice de son métier. J’en suis venue à me dire que les tribunes sont remplies de petits diables en puissance. Peut-être le stade incarne-t-il le seul endroit où ce côté obscur, niché en chacun de nous, s’autorise spontanément à s’exprimer ? Le football représente-t-il l’exercice cathartique par excellence, « les jeux du cirque d’aujourd’hui » comme disait mon ancien professeur André Menaut ? Je ne sais pas si c’est bien ou si c’est mal. C’est un fait, tout simplement. J’en ai pris conscience au fil des années. J’aurais cependant préféré que ce défouloir se joue ailleurs, loin de l’homme que j’aime, des joueurs avec lesquels je travaille, du football qui me passionne.

C’est sûrement mon côté fleur bleue, mais j’aimerais juste que la tribune soit, à chaque rencontre, une bulle de partage, de plaisir, sans violence ni insulte. Mais j’ai bien peur de ne pas y assister de mon vivant – à l’exception des merveilleux moments que suscitent les montées ou les maintiens difficiles. Alors dans ma tribune, dans notre tribune de « proches de », sans avoir besoin de se le dire, nous nous soutenons, formons une sorte de petite équipe. En général, nous nous entendons bien. Aujourd’hui, je perçois l’écart d’âge. J’ai 47 ans et les femmes de joueurs en ont toujours autour de 25. Mais elles savent que je suis quelqu’un de confiance, à qui elles peuvent parler, qui les écoutera et ne répétera pas tout à leur mari. Certaines sont devenues des amies. Le sujet est encore peu abordé mais elles contribuent sans aucun doute à la performance du week-end de leur compagnon.
Oui, cette tribune de « compagnes de », de « familles » est un espace protecteur et je regrette que certains clubs ne s’organisent pas afin que nous soyons moins éparpillées et plus « proches » les unes des autres. Nous entendons les mêmes attaques et vivons le match de la même façon, souvent avec pesanteur et anxiété. Je sais que nous nous comprenons, que nous avons des vies similaires, parfois faites de choix difficiles, d’absences répétées auprès de nos familles et de privations. Contrairement à ce que beaucoup se plaisent à imaginer, les compagnes de joueurs sont loin d’être des starlettes superficielles qui ne pensent qu’à elles et à la carte bleue de leurs maris. Non, la plupart ont épousé cette vie pour une simple et bonne raison : parce qu’elles aiment leurs compagnons.
Nous n’allons donc jamais au stade avec légèreté et insouciance. Ce qui devrait être un plaisir se transforme parfois en souffrance. Mais alors pourquoi y aller, me direz-vous ? Parce que j’adore le football, d’une part, et parce qu’il est hors de question, dans mon esprit, de laisser Jean-Marc seul dans cette enceinte. Je veux qu’il sache que je suis là. Je veux qu’il puisse regarder vers ma tribune et m’apercevoir s’il se sent mal, seul, isolé, chahuté à un moment de la rencontre. C’est peut-être naïf, et je ne sais même pas s’il y pense, mais je ne veux surtout pas qu’il ait un jour le sentiment d’être « tout seul » dans un stade.

Je n’aime pas être loin de la pelouse. J’aime être au plus proche des acteurs pour observer leurs attitudes, ressentir leurs émotions, lire leurs visages, notamment celui de Jean-Marc. Je regarde le match comme tout un chacun, l’œil attiré par le ballon et les joueurs. Je le vis comme une supportrice, qui se lève à l’approche d’une occasion, qui bondit de son siège poings serrés ou bras levés lorsque son équipe marque un but. Mais je garde toujours un œil sur Jean-Marc et l’entraîneur adverse. Selon le déroulement, je souffre pour eux. Le match est tellement lourd, demande tant de force et d’énergie.
Il existe des moments précis de la rencontre où mon regard se détourne vers Jean-Marc, comme par réflexe. Par exemple, lors d’une décision d’arbitrage vraisemblablement litigieuse, au lieu de crier au scandale ou de fixer l’arbitre, j’ai pour habitude de guetter sa réaction. Quand je le vois s’énerver, sortir de ses gonds, c’est dur, car, à mes yeux, ce n’est pas lui. Je dois reconnaître qu’il s’est calmé avec le temps dans le vécu de ses matches. Je suis fière de lui tant je sais l’effort réel que cela lui demande.

La mi-temps passe vite. Avant, à Troyes notamment, j’allais dans les salons prendre un verre et discuter. À Auxerre, je ne bouge pas. Je n’ai pas faim. Je n’ai pas soif. Je discute avec ma maman et éventuellement d’autres proches de joueurs avec lesquels nous nous entendons bien. Nous ne débriefons pas la première période. Loin de là. D’autres s’en chargent pour nous. Nous parlons de nos vies, de nos quotidiens, de nos projets. Tout sauf de foot.
Les matches à l’extérieur se déroulent exactement de la même façon à un détail près : je les regarde devant ma TV. Pendant des années, au début de ma carrière, je faisais les déplacements pour suivre les équipes de Jean-Marc, a fortiori lorsque j’intervenais auprès du groupe professionnel. Mais j’ai fini par être raisonnable et j’ai arrêté. C’était dense et fatigant : je faisais alors le trajet en voiture, seule ou avec ma maman. Nous rentrions crevées de ces allers-retours effectués dans la « journée ». Rouler des heures, la nuit, finissait, compte tenu de mon emploi du temps, par s’avérer dangereux.
Les week-ends de matches à l’extérieur, donc, je m’assois dans mon canapé, devant la TV. C’est le même rituel qu’à domicile. Ma maman est là, toujours. Jean-Marc m’appelle l’après-midi, puis une demi-heure avant le coup d’envoi, toujours. Nous ressentons le même enthousiasme quand notre équipe marque. Nous crions, sautons du canapé, le chien s’affole, croyant que l’heure de jouer est venue. Je ne manque aucun match, sous aucun prétexte. Je n’ai aucune envie de faire autre chose. Je n’invite jamais personne d’autre que ma maman, je n’organise jamais de repas en simultané. J’ai besoin de regarder le match, d’être pleinement présente. Je ne veux pas être parasitée. Mon papa était, ces jours-là, le seul avec qui j’échangeais longuement au téléphone avant la rencontre et après. Depuis le sud-ouest, il vivait les matchs avec une intensité folle si bien que tout le monde préférait déserter le salon. Je l’ai perdu récemment, ce rituel s’est envolé avec lui me laissant face à un vide bouleversant chaque samedi.

Au coup de sifflet final, lors des matches à domicile, j’ai longtemps eu pour habitude d’attendre Jean-Marc dans les salons du stade. C’est l’occasion de boire un verre avec ma maman et d’autres proches de joueurs. Nous croisons des visages connus. L’ambiance est chaleureuse. Tout est fait pour que je me sente bien. Pourtant, suivant le résultat, le contexte, je suis loin d’être tranquille. Je ne cesse de me demander dans quel état est Jean-Marc. Je m’inquiète pour la conférence de presse, que je préfère ne pas regarder. Quand des membres de son staff ou des joueurs arrivent avant lui, je leur demande toujours : « Il est comment le coach ? » Je me prépare à son retour. Entre le débriefing auprès de ses joueurs et ses obligations médiatiques, il se passe bien une heure avant que je ne le revoie. C’est long et léger lorsque nous gagnons. C’est interminable et terriblement pesant lorsque nous perdons.
Je me souviens d’un soir de défaite à Troyes. Je suis dans le grand salon de la tribune avec trois amies. Nous nous entendions bien toutes les quatre et cela faisait longtemps que nous ne nous étions pas vues. Pour fêter nos retrouvailles, nous prenons une coupe de champagne – ce qui, je peux vous l’assurer, n’a rien d’original en terres troyennes. Nous nous installons à une table et trinquons, au plaisir de se revoir. Là, un dirigeant s’approche, nous interpelle, et glisse, très sec : « Ce qui est bien avec vous, c’est que la défaite ne vous coupe pas l’envie de sourire. » Mes amies sont restées bouche bée. Je l’ai regardé et lui ai répondu : « Monsieur, oui, effectivement. Toutes les quatre, nous nous voyons très peu. Certes, nous avons perdu. Oui, nous sommes déçues. Mais nous allons malgré tout trinquer à nos retrouvailles car nous ignorons quand la prochaine occasion se présentera. Ce n’est pas le résultat du match qui doit nous empêcher de partager ce moment et de sourire. Je suis bien désolée que vous ne puissiez pas le comprendre. »

Depuis le Covid, je rentre directement chez moi au coup de sifflet final. Se jouent alors les mêmes nuances d’ambiance : quand nous gagnons, ma maman reste et attend parfois Jean-Marc. Quand nous perdons, elle rentre aussitôt car elle ne sait pas trop où se mettre dans ces moments-là. Il existe alors la même impatience et les mêmes tracas. Pour « tuer » l’attente, je commence par m’ébouillanter sous la douche. Je reviens toujours du stade littéralement frigorifiée. Puis, je passe en cuisine et prépare un petit quelque chose à manger pour Jean-Marc. Le jour du match, je sais qu’il expédie le repas du midi donc qu’il n’a pas grand-chose dans le ventre quand il rentre. S’il n’est toujours pas là alors que le plat est prêt, j’essaie de lire ou de regarder une série. Mais quand le contexte est trop lourd, c’est difficile de détourner mon attention. Plus l’équipe va mal, plus j’ai hâte qu’il rentre car la maison est un lieu de paix où il peut exprimer ses sentiments sans crainte ni conséquences.
Puis, vient son coup de téléphone pour me prévenir qu’il part du stade, qu’il arrive bientôt. Son ton est un premier indice pour estimer son état d’esprit. J‘imagine l’étendue des dégâts. J’évalue la soirée que nous allons passer, le dimanche que nous allons vivre. J’éteins la TV, je range mon livre, je vérifie que le repas est encore chaud et je me prépare à sa venue. Je vous raconterai cet après-match si singulier dans ma prochaine chronique. À vendredi. Prenez soin de vous. »

Re: 👥[Staff] Jean-Marc Furlan et son staff

Publié : 30 mai 2022, 17:31
par djej
CHAP 5 L’après-match
« Jean-Marc est de retour à la maison généralement une grosse heure après la fin d’une rencontre. À peine franchit-il le seuil de la porte que je sais dans quel état il se trouve. Par la façon dont il se comporte avec notre chien Paô, la manière dont il ferme la porte, ses pas, l’intonation de sa voix, son langage du corps, son visage, son baiser, je sais. À cet instant, j’évalue les dégâts. Cette poignée de secondes se révèle riche d’indices sur la soirée et le dimanche qui s’annoncent. Généralement, nous échangeons peu à ce moment-là. Il file directement à la douche, un palier de décompression important pour lui. C’est là qu’il enlève le costume, au sens propre comme figuré. Il évacue, exorcise même, parfois. Puis, il me rejoint dans le salon.

Les soirs de victoire sont fluides, légers, car dépourvus de lourdeur émotionnelle. Jean-Marc peut arriver en criant, tout sourire, porté par l’adrénaline alors qu’il vient d’enchaîner vingt-quatre heures de tensions extrêmes. Il fait l’imbécile, court après Paô et le rend fou ! Il n’est pas simplement soulagé, il est heureux. Et moi je suis heureuse de le voir si épanoui, si insouciant dans ces instants-là. Le week-end s’ouvre sur un horizon de gaieté et de bonne humeur. L’espace d’un instant, nous sommes sur notre petit nuage. Cependant, l’euphorie retombe très vite car nous savons que les victoires sont éphémères, que le football est impermanent et que la saison est longue. Alors, nous retrouvons notre tranquillité.
Les soirs de défaite sont pesants. Ils sont un mélange de déception, d’angoisse, de colère, d’incertitude. Jean-Marc les ressent de manière excessive. Il possède de telles convictions sur la façon dont son équipe devrait jouer qu’une mauvaise prestation suivie d’un résultat décevant peut le plonger dans une frustration exacerbée. Il me confie souvent qu’il travaille avec force pour améliorer ce vécu de l’événement, mais, la plupart du temps, c’est plus fort que lui. Souvent, lorsqu’il est plongé dans cet état, il reste mutique, le visage fermé. J’ai tendance à penser qu’il agit ainsi pour éviter de m’inquiéter. Il prend le temps de la distance, le temps de se trouver dans une émotion moins intense, afin de se livrer d’une manière plus calme, édulcorée, raisonnée.

Il s’installe alors pour manger un morceau. Il me dit toujours qu’il n’a pas faim. Pourtant, comme je vous l’expliquais dans ma chronique précédente, il a le ventre vide lorsqu’il revient du match. L’émotion a été telle qu’il ne ressent pas la faim. L’anxiété le « nourrit ». À force d’insister, il finit par grignoter, retrouve l’appétit, mange et s’autorise même une bière ou un verre de vin rouge. Moi, je ne mange pas. Je suis assise à côté de lui. Quasi en suspens. J’attends de voir comment les choses vont se dérouler. Autant, en semaine, je pose des questions, je m’intéresse, je vais vers lui. Autant, après le match, c’est différent. Je le laisse venir. Je ne le bouscule pas. J’attends qu’il vienne à moi, à son rythme.
Dans tous les cas, tôt ou tard, le sujet du match s’invite à table. Je veux être prête pour ce moment, prête à lui consacrer toute mon attention, le regarder, l’écouter. Je lui dis souvent : « Écoute mon cœur, calme-toi, respire. Ce n’est pas le moment d’être dans l’analyse. Tu vas commencer par souffler, finir de manger, puis dormir. Pour le reste, nous verrons demain. » Ces mots l’apaisent, le recentrent sur l’ici et maintenant. La plupart du temps, nous nous couchons dans la foulée. S’il est vraiment trop torturé, exceptionnellement, je stoppe la musique et allume la chaîne de TV « Comédie », histoire de lui offrir l’opportunité de rire un bon coup. Je n’ai pas ce talent ! La série H est beaucoup plus efficace. L’humour est un excellent allié dans la gestion de ses émotions.

Nous coucher ne signifie pas que nous soyons « au bout de nos peines ». Jean-Marc fragilise son corps à chaque match. Littéralement. Pour preuve, la nuit suivant la rencontre est souvent synonyme de souffrance physique pour lui. Neuf fois sur dix, Il se réveille, perclus de crampes. Sa douleur me tire du sommeil, bien entendu. Nous sommes habitués, c’est un peu devenu un rendez-vous quasi-incontournable. Il s’étire, marche parfois. Quant à moi, je me précipite pour le masser, l’aider à passer la crise. C’est insoutenable, tout se passe comme si son corps le rattrapait après cette journée de stress intense, d’adrénaline, où il mange et boit peu. Je ne vois pas d’autre explication puisque cela ne se produit jamais la semaine. À mon avis, il devrait faire le décrassage d’après-match avec ses joueurs !

Le dimanche matin est le seul moment de la semaine où nous traînons. Nous commençons par lire, en buvant du thé. Le petit-déjeuner est un peu différent des autres matinées. Sur la table, pour lui faire plaisir et satisfaire ses envies de sucre, il y a des croissants et des pains aux raisins. Nous faisons les choses à notre rythme, tranquillement. Jean-Marc passe des coups de fil et prend des nouvelles de ses proches qui habitent loin : sa sœur dans le Sud-Ouest, son meilleur ami d’Aigues-Mortes, son oncle de Nouméa. Il écrit dans ses cahiers des citations qui lui plaisent et l’apaisent. Il finalise les cartes postales qu’il envoie à ses enfants et glisse dans les enveloppes quelques photos qu’il se plaît à imprimer lui-même. Il lit. Le dimanche matin est un plaisir, un partage.
Cette matinée est la seule où Jean-Marc débranche et se tient éloigné du football. C’est un accord tacite entre nous, peu importe le résultat de la veille. Nous en avons besoin pour assurer notre équilibre. Mais le foot n’est jamais loin. Il suffit d’un appel pour qu’il revienne sur le devant de la scène et que Jean-Marc replonge. Nous savons pertinemment que nous sommes sur un fil, mais nous faisons comme si ce n’était pas le cas. Le dimanche matin est un berceau d’illusions que nous avons construit et qui nous fait du bien.

Le midi, nous déjeunons vers 13 h 30 à la maison, commençant souvent par un petit apéritif. La conversation sur le match, interrompue la veille au soir, reprend naturellement à ce moment-là. Nous déroulons le fil de ses contrariétés, puis les passons au crible. Nous sommes moins dans l’émotion du samedi soir, davantage dans la discussion, l’argumentation, la projection. Petit à petit, l’équilibre revient. Après le repas, il fait une sieste, toujours plus longue lorsque son équipe joue à l’extérieur et qu’ils rentrent tard dans la nuit. Parfois, il s’excuse et me dit : « Mais tu aurais voulu qu’on aille quelque part ? ». Je trouve ça attendrissant après vingt ans de vie commune. Je ne veux aller nulle part. Je veux juste être avec lui, chez nous. Je veux que nous récupérions, ensemble, pour attaquer la semaine.

Jean-Marc se réveille de sa sieste. Je prépare un thé à la menthe accompagné de quelques biscuits. Puis, il s’installe dans le canapé et regarde le match de la veille pour la première fois. Visionner la rencontre est nécessaire afin de s’adresser aux joueurs le lendemain à la reprise de l’entraînement. À ses côtés, toujours un petit cahier et un stylo. Il ne noircit pas des pages. Ce n’est pas son style. Il griffonne quelques mots-clés, note des minutes de jeu qui lui seront utiles pour ses entretiens et les vidéos de la semaine. Je ne suis jamais loin car c’est un moment amusant. Je profite de ses commentaires. J’adore. Il revit tant le match que je le taquine, parfois : « Tu es au courant que tu sais déjà comment va se terminer ce match ? ».
L’après-midi se poursuit dans le salon. À Auxerre, nous avons dû séparer notre canapé d’angle. Nous avons donc deux canapés, l’un face à l’autre dans un petit espace. Je m’assois après avoir installé sur la table basse, les tasses de thé, les biscuits, les revues du mois et une dizaine de livres. Ce sont nos lectures, nos recherches du moment. Nous voilà simplement en train de bouquiner dans notre petite alcôve. Nous nous interpellons souvent sur nos différentes lectures et échangeons. C’est un moment suspendu, que nous adorons et aimons reproduire inlassablement. Ce rituel de lecture est véritablement une des bases de notre vie.
Le dimanche soir, en fonction de sa relation au football du week-end, de ses contrariétés éventuelles, Jean-Marc est plus ou moins prêt à se replonger dans du foot. Lorsque la pilule est passée, nous regardons le match du dimanche soir de Ligue 1. Dans le cas inverse, nous lançons une série. Il décide. Je peux comprendre qu’il soit difficile de lâcher prise au sujet du match de la veille avec un « carré vert » sous les yeux !

C’est peut-être étonnant pour vous, mais, nous ne ressentons nullement le besoin de sortir, de manger au restaurant, d’aller au cinéma ou de se balader. Nous aimerions davantage partir en week-end afin de couper réellement mais lorsque vous disposez d’une pause de 36 heures et que vous cherchez à récupérer, il est difficile de « sauter le pas ». Finalement, je pense que nous sommes mieux chez nous. Même à Troyes, où nous connaissions beaucoup de monde, nous sortions très peu le dimanche. Vous savez, pour un entraîneur de foot et sa compagne, lorsque les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances de l’environnement, l’extérieur est un monde potentiellement à risque. Je pèse mes mots. Ce n’est pas une plainte. C’est un fait.
Je vous donne un exemple : le lendemain d’une défaite, Jean-Marc se baladait et une maman l’a interpellé. Elle était avec ses deux petits et lui a expliqué : « Vous vous rendez compte ? Nous étions au stade hier, nous avons perdu et les enfants ont pleuré. ». Ce fut très déstabilisant pour Jean-Marc Il est habitué à récolter des remarques, mais il était scotché que les choses puissent aller aussi loin. Était-il normal de se voir ainsi confier la responsabilité du bonheur de ces enfants ?

Si les mauvais résultats s’enchaînent, Jean-Marc entame ses dimanches avec des pensées grises. Elles peuvent devenir noires à la moindre idée négative supplémentaire, au moindre coup de fil qui l’oblige une nouvelle fois à ruminer. Dans ces moments, je prie pour que son téléphone ne sonne pas, pour que le monde du football et ses acteurs le laissent en paix, seulement quelques heures. Si je pouvais, je couperais son portable ces jours-là.
Lors de ces moments, mon objectif est de l’aider à « stabiliser » ses « pensées grises » pour éviter leur aggravation, puis de faire en sorte qu’elles « s’éclaircissent ». Je le force à la « joie consolante » comme l’écrit si joliment Christophe André. Oui, mes dimanches sont parfois des luttes contre la noirceur des cycles de défaites, une invitation à vivre l’instant présent. Je suis comme une petite force déterminée à lui permettre de garder l’équilibre sur le fil de son bien-être.

Je ne vous le cache pas : il arrive que ce beau programme dominical bascule, que la noirceur parvienne malgré tout à s’imposer. Le fil se rompt : Jean-Marc repense au résultat de la veille, replonge et se torture. Avec l’expérience, je pensais qu’il parviendrait à vivre une relation moins violente avec ce résultat, à davantage s’en détacher. Je me suis lourdement trompée. S’il a grandement progressé dans sa gestion de la semaine, le résultat parvient encore à le plonger dans une extrême souffrance. Le pire, c’est qu’il en a totalement conscience. Pendant la semaine, il me parle régulièrement de l’incertitude du résultat, de l’impossibilité de le maîtriser, donc de l’impertinence de se juger en fonction de lui… Mais le dimanche, il arrive que ce dernier le rattrape en plein vol, le possède et le domine. C’est alors plus fort que lui.
Certains entraîneurs parviennent à différencier leur identité de personne de leur identité de coach. Jean-Marc en est, à mon grand regret, totalement incapable. Chez lui, le résultat est un couperet qui tombe tous les week-ends. Je me bats contre ce phénomène. Je refuse qu’un score dicte ses émotions et sa relation à lui-même. Malheureusement, mes combats restent souvent vains sur ce sujet. Il faut le comprendre : depuis ses 15 ans, le football dévore l’entièreté de sa vie. À ses yeux, ce sport le définit en tant que personne. Par cette fusion entre son identité et son métier, il s’est mis à légitimer le sens de sa vie par le résultat de ses équipes. Il est totalement happé par le système. Lorsque son équipe perd, c’est un peu comme si une part de lui demandait : « Quelle valeur as-tu ? ». C’est une remise en question violente, profonde, extrême que connaissent également beaucoup d’athlètes de haut niveau.

Pris dans cette construction toxique, le résultat d’un match a le pouvoir de le conduire à la remise en cause de ses qualités d’homme. Comment faire autrement quand vous avez laissé l’entraîneur « prendre toute la place », comme si vous n’étiez plus que « ça » ! C’est une vraie confusion. À ses yeux, le résultat devient l’évaluateur de son identité. Tout se passe comme s’il avait l’impression que le score de la veille allait s’inscrire à vie sur son passeport. Cet état se manifeste par une grande fermeture. Nous sommes à l’inverse du petit diable d’avant-match, dont je vous parlais dans une chronique précédente, qui fulmine au moindre grain de sable. Non, cette fois, Jean-Marc est en souffrance interne et cela ne me rassure pas davantage, même si j’ai l’habitude d’être régulièrement confrontée à cette problématique aux côtés des athlètes avec lesquels je travaille.
Dans ces moments, j’essaie de l’encourager à verbaliser, de lui faire prendre de la distance, de le mettre face à l’absurdité du phénomène. Je lui fais souvent cette remarque : « Mais rends-toi compte : si le poteau avait été rentrant plutôt que sortant, le résultat aurait été différent et tu verrais les choses autrement. ». C’est fou quand vous y pensez. Le week-end d’un entraîneur de football tient parfois à un poteau, à un pauvre montant cylindrique de métal. Tant de désordre pour parfois si « peu ». Je me confie à vous sur ce sujet car, en tant que professionnelle, il me semble important que les passionnés de sport aient une vision plus éclairée de la réalité du vécu des athlètes et des entraîneurs. La relation au résultat, à l’erreur, à l’échec n’est en aucun cas facile à vivre comme certains se le figurent. Il est grand temps d’oser en parler.

De mon côté, un cheminement a également été nécessaire. J’ai dû accepter l’idée que le football puisse le rendre « malade », car malheureusement, mes efforts ne fonctionnent jamais totalement. C’est affreux de me sentir ainsi impuissante. Il m’affirme que je l’aide beaucoup. À mon goût, ce n’est jamais assez. Je ne parviens pas à ce qu’il accorde au football sa juste place.
Cher football, je veux bien t’offrir, avec joie, notre quotidien. Mais je ne veux pas te donner nos émotions, le plaisir d’être ensemble, de respirer l’air frais du matin, de s’émerveiller devant la nature. Non. Que tu sois une passion harmonieuse, d’accord. Que tu deviennes une passion destructrice, jamais. Il existe peu de choses qui me mettent en colère mais cette « dictature du résultat » en est une, je l’avoue. Je me bats contre elle.

Parfois, je m’inquiète de voir à quel point cette relation aux résultats a pu l’abîmer avec le temps. Il faut savoir qu’avant tout, Jean-Marc est un déconneur. Il aime s’amuser, blaguer, adore le flegme anglais. Sourire est sa nature première. Au fil des saisons, j’ai le sentiment que cette « dictature du résultat » grignote son côté jovial, que le foot abîme cette essence de gaieté. Tout cela me procure une grande peine. Je voudrais vraiment le protéger de ça.
Le foot a aussi usé son corps. C’est une réalité. Jean-Marc a une forme physique parfois compliquée. Quinze ans de carrière professionnelle, vingt ans comme entraîneur : n’imaginez pas un instant que ce rythme ne laisse pas de « traces ». Le pire, c’est son dos. Il est en vrac et le fait énormément souffrir. Beaucoup lui font la remarque sur sa façon de marcher. Il conviendrait de l’opérer, mais cela nécessiterait trois mois d’arrêt, donc… Il ne l’a jamais fait. Ce ne sont pas les heures de bus en déplacement toutes les deux semaines qui arrangent la situation… Sincèrement, je m’en inquiète. J’aimerais qu’il prenne un peu plus soin de lui. Et en même temps, j’ai dû accepter l’idée qu’à ses yeux, le football passe avant. Mais soyons clairs, et je doute fort que ses collègues pensent le contraire : le métier d’entraîneur n’est pas bon pour la santé.

Heureusement, nous partageons cette passion pour notre sport. Je ne lui dirai jamais : « Oh, tu rentres tard. » ou « Oh, mais arrête avec ton foot. ». Cette aventure est la nôtre. Avec Jean-Marc, nous ne formons pas un couple. Nous sommes une dyade. Nous sommes en interaction quasi constante, nous nous complétons. Il faut bien ça pour faire face au football. J’aime sincèrement cette vie, ce quotidien que je vous ai décrit au fil des dernières semaines. J’aime cette dévotion au football, qui m’a offert les plus beaux moments et belles rencontres de ma vie. J’aime cette lutte contre « la dictature du résultat ». Je n’en ai jamais eu marre. Mais je doute vraiment que ce quotidien soit fait pour tout le monde.
La retraite viendra. Je le sais. Je ne la crains pas. Je n’ai pas hâte qu’elle arrive, non plus. Ce sera quand il le voudra, quand il aura le sentiment d’avoir accompli ce qu’il avait à accomplir. Nous en parlons tranquillement. Je m’inquiète parfois du manque qu’il pourra ressentir après avoir dédié sa vie à ce sport depuis des décennies. Puis, je me rassure en me disant que nous adorons passer du temps ensemble, lire, voir nos proches ; que nous avons des projets, où nos âmes de bâtisseurs pourront s’exprimer, comme écrire un livre à quatre mains, ouvrir une école, acheter un restaurant… Ce que je veux, plus que tout au monde, c’est qu’il puisse s’arrêter en paix. Qu’il choisisse son moment, que ce soit sa décision.

Vous l’aurez compris à la lecture de ces premières chroniques : notre quotidien est organisé pour lui, mais rien n’est forcé. Je n’ai jamais eu le sentiment de faire un quelconque sacrifice. Lorsque je le regarde, j’éprouve une immense fierté. Heureusement, car je ne suis pas sûre que lui soit fier de lui. Je connais son histoire, les tempêtes qu’il a traversées, celles qui peuvent « se lever ». Et, si le football veut bien nous aider un peu, je le vois, à 64 ans, heureux, serein, apaisé, encore en activité avec un immense enthousiasme pour son métier. Je sais à quel point ce n’est pas simple.
Lorsque je fais « un pas de côté » pour « nous observer », je pense à cette célèbre citation de Montaigne : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi. ». Je ressens cette évidence, ce lien entre nous, même s’il m’est difficile de l’expliquer. J’éprouve un amour profond pour lui. Le plus beau, le plus fou est qu’il ne se délite pas. Il résiste au temps qui passe et aux différentes villes que nous découvrons au fil de nos carrières. La semaine prochaine, justement, je vous parlerai de cette vie de déracinés. À vendredi prochain. Prenez soin de vous. »

Re: 👥[Staff] Jean-Marc Furlan et son staff

Publié : 30 mai 2022, 17:32
par djej
Chap 6 Les déracinements
« Avant de m’embarquer dans cette vie, je n’avais pas conscience que nous bougerions autant. Peu importe : j’avais déjà ce mouvement perpétuel en moi. Mes parents ont divorcé lorsque j’étais jeune, j’ai vite pris l’habitude de vivre entre deux maisons. Aussi, je tiens de ma maman qui a toujours aimé déménager, s’approprier un nouveau lieu, le décorer. À partir du moment où elle s’est séparée de son compagnon en 2004, elle a décidé de nous suivre dans nos pérégrinations avec Jean-Marc. Depuis, elle a toujours habité près de chez nous.
De son côté, Jean-Marc bouge de ville en ville depuis le début de sa carrière de joueur. Rendez-vous compte : en quarante-cinq ans, il a connu 15 villes différentes. Nous disons souvent que nous sommes des nomades, des forces d’adaptation, capables de faire nos valises en troisième vitesse et de tout laisser derrière nous. Nous emballons les cartons tous les trois ans, en moyenne. Dans ces moments-là, nous sommes partagés entre la crainte de partir et l’excitation de découvrir. Avec le temps, cette facette s’est inscrite dans nos gènes et je suis persuadée que ce « remue-ménage » est davantage une chance qu’une contrainte.

Il n’empêche : certains départs sont des déracinements, des déchirements. En vingt ans avec Jean-Marc, deux exils ont été bouleversants, pour des raisons différentes. Le second départ de Troyes, en décembre 2015, a été particulièrement difficile à cause du contexte professionnel et du changement de comportement de plusieurs personnes au sein du club et en dehors. Jean-Marc était en poste depuis 2010, après un premier passage de 2004 à 2007. Avec du recul, nous avons fait la pire erreur possible dans le monde du football professionnel : se croire chez nous. Cependant, il faut avouer que le contexte s’y prêtait : je travaillais également pour la structure en tant qu’intervenante en psychologie du sport. Nous avions beaucoup d’amis, nous connaissions bien le maire, les personnalités du club et de la ville. Tant de liens pour des gens comme nous, n’étant généralement pas autorisés à en tisser ! Troyes fut le temps fort de ma vie personnelle et professionnelle, mais la déception du départ n’en fut que plus rude.
Sept ans d’affilée dans le même club, une rareté de nos jours, nous ont fait oublier les règles du jeu de ce métier, où tout est précaire. Ce genre d’erreur entraîne nécessairement un départ très douloureux. Je m’en suis longtemps voulu de nous avoir vus ainsi installés. Mais cet épisode nous a vaccinés. Le sujet reste sensible pour Jean-Marc car je sais à quel point certaines choses l’ont blessé. Personnellement, ce départ m’a changée. J’ai littéralement fermé les écoutilles, j’ai pris de la distance avec certains acteurs du monde du foot, notamment celles et ceux qui sont immuables, qui restent là indéfiniment pendant que vous recommencez l’aventure inlassablement. Dans les tribunes, je suis moins avenante. Je me suis repliée pour me protéger. Le foot m’a rendue plus solitaire. Je le sais, je le sens et je ne le vis pas mal.

Le deuxième exil bouleversant fut celui de Brest, en 2019, pour des raisons totalement différentes et personnelles, car j’ai eu un véritable coup de cœur pour cette ville. Rien n’était écrit à l’avance, croyez-moi. Quand nous avons annoncé à notre entourage que nous allions là-bas, ce fut cocasse. Nos proches nous disaient : « Ah oui, la Bretagne, c’est super. Mais Brest ! Oh là là… C’est loin de tout, c’est moche, mal construit, gris, triste. » Bonjour l’ambiance… Pourtant, dès que nous avons atterri là-bas, je me suis sentie bien, comme « allégée » d’un poids insoupçonné.
Nous avions une vie sociale bien moins importante, quasi inexistante par rapport à Troyes, que nous venions de quitter. Cela ne m’a pas empêchée d’adorer cette ville, son immense librairie « Dialogues » à l’ambiance apaisante, cosy où je pouvais m’asseoir et lire des heures ; ses quais emplis de restaurants, de bars, d’agitation, de vie ; ses rues qui mènent à l’océan, ce magnifique océan qui me fascine, par son mouvement constant, son odeur iodée qui donne envie de déguster les huîtres ramenées de la pêche matinale, par ses émotions, tantôt apaisé, tantôt agité. À Brest, j’ai aimé regarder cet océan, l’écouter, ressentir ses émotions. Et peu importe la présence des grues ou des gros bateaux aux alentours. Eux aussi, j’ai fini par les aimer.

J’ai aussi adoré la mentalité des Brestois, bien moins speeds et plus détendus qu’ailleurs. Nous avons ressenti cette philosophie de vie au stade Francis-Le Blé, où règne l’atmosphère la plus merveilleuse que j’ai connue. Là-bas, au moment d’acheter un billet, les gens s’offrent une soirée conviviale, dont le match fait partie, mais qui commence avant et se poursuit après. Ils « n’achètent » pas un résultat, comme nous avons pu le voir ailleurs. Quel bonheur ! Mais quelle surprise également ! Il nous a fallu un temps d’adaptation…
Je me souviens d’un soir de défaite à domicile avec Jean-Marc. Nous rejoignions notre voiture quand une bande de jeunes l’a alpagué. Sur le coup, j’ai craint le pire. Dans ce genre de contexte, j’avoue être sur la défensive. Mais ces jeunes étaient si souriants, alors j’ai observé de loin. Ils lui ont dit : « Félicitations coach, super le match ! » Jean-Marc s’est figé. Il ne comprenait pas. Il a bredouillé : « Mais, euh, les gars, on a perdu… » Et ils lui ont répondu : « Mais ce n’est pas grave coach. Nous avons fait un beau match. Nous nous sommes régalés. Là, nous allons aller boire un coup et passer une superbe soirée. Merci encore ! » Et ils sont partis. Vous nous auriez vus… Totalement hébétés. Ce fut un moment fantastique. Vous n’imaginez pas à quel point ces quelques secondes peuvent faire du bien. Jean-Marc reparle souvent de cette anecdote avec émotion. Il était littéralement scié. Quant à moi, la déclaration spontanée de ces jeunes m’a permis de clarifier ce que je ressentais mais que je n’arrivais pas à « mettre en mot » : pour un Brestois, aller au stade revêt un sens différent et ça change tout.
Ces saisons-là, je n’allais pas aux matches avec la même boule à l’estomac comme si enfin, le football était « installé » à sa juste place. Conscients de cet équilibre, nous ne nous promenions plus dans le centre-ville avec méfiance, en nous demandant s’il aurait mieux valu rester chez nous. Nous avons un lien unique avec cette ville. J’y reviens chaque année avec un immense plaisir pour donner quelques heures de cours et revoir mes collègues que j’apprécie énormément. À chaque fois que je retrouve ses rues et entends l’océan, je suis émue et j’ai les larmes aux yeux. Oui, quitter Brest fut un déchirement.
Les moments entre la fin de contrat dans un club et la signature éventuelle dans un autre sont des à-peu-près permanents. Certaines prises de contact sont précoces, traînent et ne mènent finalement nulle part. L’incertitude est alors à son point culminant. Dans le cas des joueurs, vous « doublez », voire « triplez » les postes dans chaque effectif. La situation est toute autre lorsqu’il s’agit des entraîneurs. La question est simple si je puis dire : à l’instant T, des places sont-elles disponibles au moment où Jean-Marc, lui, est libre ? Puis, dans un deuxième temps : son profil intéresse-t-il les acteurs concernés ? Quand les choses bougent, il est informé par son agent, puis il me tient au courant. Le projet football est et restera l’unique décideur de nos mouvements. Rien n’est au-dessus.
Enfin, si : les principes moraux de Jean-Marc. Sa parole vaut toutes les signatures du monde. C’est une question de valeurs. À l’issue de son premier contrat à l’Estac en 2007, il s’était engagé oralement, lors d’une conversation téléphonique, auprès du président de Strasbourg. Vingt-quatre heures après, avant la signature officielle du contrat, le président bordelais Jean-Louis Triaud le contactait pour lui proposer de prendre la tête de son équipe. Vous imaginez ? Les Girondins de la fin des années 2000, pour nous, les enfants nés en Gironde. Cependant, dans l’esprit de Jean-Marc, il en était absolument hors de question. Il a refusé. Surpris, M. Triaud insistait, lui disant qu’il suffisait de dire à Strasbourg qu’il s’agissait d’une offre qu’il ne pouvait pas refuser, qu’il rentrait chez lui. Mais il est resté inflexible, honnête, intègre.

Jean-Marc a régulièrement des propositions pour l’étranger. Rien à voir avec l’Angleterre ou l’Espagne. Les destinations en question sont plus « exotiques ». Dans ce cas, je donne davantage mon avis car il s’agirait d’un sacré changement personnel et professionnel. Je n’y suis pas fermée. Seulement, ce genre d’expérience ferait figure, à mes yeux, de conclusion, de dernière étape avant la retraite. Le jour où il acceptera, je veux que ce soit en étant parfaitement en paix avec sa carrière d’entraîneur en France.
Outre ce cas de l’étranger, je n’impose rien à Jean-Marc. Je ne lui dis jamais : « Oh, mon cœur, allons plutôt ici, c’est plus sympa. » Jamais. Je veux que nous allions dans une ville où le club lui propose un projet qui lui plaît, où il se lèvera le matin avec entrain, où il pourra se régaler à mettre en place sa philosophie de jeu, où il se sentira en phase avec ses dirigeants. Alors bien entendu, au moment de changer de ville, Jean-Marc me demande toujours ce que j’en pense mais je réponds avec le filtre de ce qui sera bien pour lui d’un point de vue sportif. Si lui est bien, j’ai la conviction que je pourrai m’adapter partout.

Je suis prête à habiter n’importe où à partir du moment où je me sens chez moi. Et là, il faut avouer que je suis TRÈS exigeante. Dans le monde du foot, de nombreux joueurs ou membres du staff louent des logements meublés et déménagent avec quelques dizaines de cartons, tout au plus. Pour nous, c’est impossible. Je veux vivre dans une maison qui nous ressemble, qui nous offre un sentiment de stabilité. Vivre dans un meublé ou ne faire suivre qu’une infime partie de nos affaires me renverrait au quotidien l’idée que nous sommes inlassablement « sur le départ ». Je le sais déjà, pas besoin que notre maison l’incarne ! Et puis, je ne veux pas me priver d’acheter un meuble qui me plaît et de l’emmener, avec nous, faire le tour de la France.
Jean-Marc et moi sommes des nomades, certes, mais des nomades avec 500 cartons – je n’exagère pas – et trois camions de déménagement à chaque nouveau départ. D’ailleurs, les déménageurs sont souvent accablés lorsqu’ils font un premier tour et constatent tout ce qu’ils ont à transporter, en particulier les cartons de livres… Quand nous sommes partis de Brest, l’un d’entre eux a carrément fini par nous dire : « C’est trop gros pour nous, on ne fait pas. » Quant à celui qui s’est occupé de notre arrivée sur Brest, il se plaisait à raconter que ce déménagement était plus impressionnant que celui qu’il avait effectué pour le siège du club ! L’intendance consécutive de ce choix est une folie, mais je suis convaincue de son importance, de sa nécessité pour notre équilibre. Nos maisons sont des refuges face à l’impermanence du football. La règle est par conséquent simple : à chaque déménagement, je veux pouvoir recréer notre cocon.

Il existe deux éléments absolument immuables à notre bien-être. D’abord, le salon, notre lieu de vie, quartier général où nous sommes installés matin, midi et soir. Il se doit d’être un lieu d’apaisement total. Jean-Marc aime les baies vitrées, il veut que la lumière emplisse la pièce. J’y installe notre table à manger, carrée, boisée, exotique ; notre grande armoire chinoise rouge sur laquelle est installée une lampe marocaine, recouverte d’une peau rouge qui diffuse une lumière tamisée le soir. J’y ajoute nos tapis colorés, de nombreuses plantes. J’y place notre grand Bouddha doré, des commodes chinoises, la table basse, où reposent livres et bougies. Et puis, notre canapé avec ses coussins ocre et rouges, où nous lisons ou regardons la télévision. Tous ces éléments étaient présents à Troyes, Strasbourg, Nantes, Brest. Ils le sont à Auxerre. Ils seront toujours là.
Comment vous parler de notre intérieur sans aborder les livres ? J’ai besoin qu’ils soient tous présents dans la maison. Nous en avons aujourd’hui plus de 2 000. Ils représentent près de la moitié de nos déménagements, soit 200 cartons. Il vaut d’ailleurs mieux que personne ne me voie les empaqueter car je pourrais me retrouver à l’hôpital psychiatrique. Je m’applique comme une dingue afin qu’aucun ne soit plié, corné, froissé. À la maison, nous vivons à leurs côtés. Ils peuvent se trouver sur les tables, le comptoir de la cuisine, les accoudoirs du canapé… La majorité reste rangée dans nos bureaux respectifs et dans des lieux dédiés. À Auxerre, à l’étage, sous les toits, j’ai fait aménager des étagères sur mesure pour installer les collections, tout en longueur. C’est un endroit que nous adorons. À nos yeux, une bibliothèque représente la certitude d’être heureux.

Une fois les cartons bouclés, commence alors une sacrée intendance, car il faut rebondir le plus rapidement possible. Je m’occupe de tout, uniquement assistée par ma maman. J’ai entendu parler des services de conciergerie, mais je n’ai jamais fait appel à eux, mon niveau d’exigence est tel que j’aurais peur d’être déçue. De plus, m’occuper de ce moment de transition me permet de vivre les choses par étapes, il adoucit le départ d’un lieu et m’assure que nous serons bien dans celui que nous rejoignons.
Dès que nous connaissons notre nouvelle destination, je consulte assidûment les sites références et contacte des agences immobilières sur place. Parfois, le club dispose d’une « personne-ressource » pour nous aider. Je suis très exigeante dans la quête de la maison que nous louerons, car elle représente davantage qu’une maison. En ce qui concerne l’intérieur, vous l’aurez compris, il nous faut une grande pièce de vie lumineuse. Je m’informe sur la présence de rangements et en particulier de bibliothèques afin de faciliter l’installation de nos livres. Nous désirons également un nombre de chambres suffisant pour accueillir les enfants de Jean-Marc lors de leurs visites. Question « extérieur », nous souhaitons une maison isolée de la ville, en pleine nature. Nous nous retrouvons parfois dans de tout petits villages, ce qui amuse beaucoup les femmes de joueurs ou de membres des staffs locaux, très citadin(e)s, mais nous avons besoin de vivre loin de toute forme de nuisance. Nous aimons voir les saisons défiler sous nos yeux et lire dans le jardin, au calme.
Bien sûr, il est nécessaire que nous habitions assez proche du centre d’entraînement et du stade, ce qui rend parfois la recherche d’une maison en pleine nature compliquée. Lorsque la quête s’avère ardue, que les semaines passent, l’inquiétude me gagne. Jean-Marc le sait. Voulant me faire plaisir, il m’encourage alors à choisir la maison que je veux, indépendamment de la distance avec le stade. Selon le coup de cœur, sa proposition est tentante mais je suis consciente que cette décision finira par nous polluer : il devra se lever plus tôt, passera plus de temps dans la voiture, sera forcé de compenser en restant plus longtemps au stade, ce qui signifie qu’il restera moins longtemps avec moi. Bref, cette distance excessive finira nécessairement par devenir un calvaire.
Dès que je repère une ou deux maisons qui me plaisent, j’en parle à Jean-Marc, qui a bien d’autres choses à gérer à son arrivée dans un nouveau club. Suivant le contexte, il assiste aux visites ou me fait confiance. Dans l’idéal, j’essaie d’organiser le moment du déménagement lorsque Jean-Marc est en stage avec son équipe, fin juin-début juillet. Ainsi, nous ressentons moins la séparation. Si tout se passe bien, cette transition est l’affaire de quelques semaines. Parfois, c’est plus long, comme à Auxerre, où nous avons peiné à trouver un logement. De juin à novembre 2019, nous vivions dans un appartement meublé, très joli et agréable, certes, mais sans notre salon cosy et nos livres. Ce n’était pas chez nous. J’étais irritable, je l’ai mal vécu et me suis sentie déracinée. Devant l’absence de solution, pour la première fois de notre vie, nous avons acheté une maison. À la vue de l’annonce, ce lieu semblait déjà nous dire : « Vous êtes ici chez vous », avec ses oliviers dans le jardin, un bouddha sur la terrasse, la nature à perte de vue. Alors, nous avons sauté le pas. Nous ne savons pas combien de temps nous resterons à Auxerre. C’est la règle du jeu et cela fait bien longtemps que nous l’avons acceptée. Nous verrons ce que l’avenir nous réserve puis nous aviserons. Rien ne nous effraie à ce sujet.

Le plus dur aujourd’hui n’est plus de partir, mais plutôt de devoir tout recommencer ailleurs. Dans l’exercice de son métier, Jean-Marc est un bâtisseur. Pour chaque nouveau club, il se donne corps et âme afin de construire un « pôle performance » en adéquation avec sa philosophie. Il lui faut plusieurs saisons pour y parvenir. Quand un contrat se termine, même lorsqu’il est en paix avec cet arrêt, il ressent une forme d’abandon de son travail, de son engagement, d’une part de lui. Il ne le formule pas mais je le sais. Tout se passe comme s’il devait, sans cesse, semer de nouvelles graines en se demandant s’il aura la chance de voir son arbre fleurir. C’est difficile pour moi également, pour des choses bien plus triviales, comme la perpétuelle recherche du bon épicier, coiffeur, médecin à chaque nouvelle ville. Repartir de zéro, encore, toujours, vous marque quelque peu au bout de 20 ans, mais je n’ai jamais ressenti le besoin de tout envoyer valser et de m’établir quelque part. Je crois que j’y laisserais une part de mon identité.
Lui non plus. Bien au contraire. Au cours de leur carrière, certains entraîneurs ressentent le besoin de couper et prennent une année sabbatique pour souffler, récupérer de cette pression permanente qui pèse sur leurs épaules. Jean-Marc n’a pas souhaité utiliser cette stratégie. En vingt ans, il n’a connu que deux courtes périodes d’inactivités de quelques mois : entre Strasbourg et Nantes en 2009, puis entre Troyes et Brest en 2015. C’est parfaitement volontaire : Jean-Marc n’aime pas rester hors du monde du football trop longtemps. Il est soucieux de suivre le fil des évolutions générationnelles, de rester au contact de ces jeunes hommes qui en sont l’essence. Il a vraiment une peur bleue de se sentir, un matin, en décalage complet avec les joueurs et d’être obligé de se retirer. Prendre soin de lui, de son dos, de son corps, pendant une saison off, lui aurait certainement fait du bien. Il le sait. Mais cet arrêt aurait aussi fini par l’angoisser. Je le comprends. Je pense même qu’il est dans le vrai. Donc je le suis. Nous avons cette passion, cette âme de nomades en nous.
Forcément, cette vie en mouvement a des conséquences, sociales notamment. D’autant que, je vous en ai déjà parlé, je suis devenue davantage solitaire avec le temps. Alors, je ne suis pas l’amie qui appelle tous les quatre matins ou organise des sorties shoppings entre copines le samedi après-midi suivies de bonnes bouffes. Je vois et parle peu à mes amis mais ils sont toujours près de moi : des photos de nos moments de partage sont présentes dans toute la maison. Je suis consciente que certains ressentent une réelle frustration à ce sujet, mais c’est ainsi. Je chéris tous les précieux moments que j’ai le plaisir de vivre auprès d’eux, c’est un grand bonheur mais il est à double tranchant : quand ces instants ont lieu, ils me mettent aussi face à la réalité de leur caractère éphémère, au manque que cela va générer puisque je vais devoir obligatoirement m’éloigner. Malgré tout, il n’existe aucune ambiguïté entre nous : mes proches savent que s’ils ont besoin de moi, je serai là. Quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit, je serai capable de partir de chez moi illico et d’enchaîner des centaines de kilomètres pour les retrouver, les épauler. Mes amis sont la famille que j’ai choisie et je les aime de tout mon cœur.

Partager la vie d’un entraîneur nécessite d’assimiler que vous ne resterez jamais bien longtemps quelque part. C’est une vie par moments empreinte de nostalgie que je combats avec la logique suivante : nous perdons toujours certaines choses lors d’un départ, mais nous en gagnons beaucoup, aussi, à chaque arrivée. Nous avions une baignoire d’enfer dans la maison à Brest ? Nous avons un salon merveilleusement convivial et apaisant dans celle d’Auxerre. Nous avions l’océan à Brest ? Je me retrouve à une heure de route de certains de mes meilleurs amis depuis Auxerre. Je suis persuadée qu’il existe des choses chouettes partout. Bouger aide à ne pas trop s’enraciner, à ne pas se mettre dans une zone de confort, et évite de ronronner. Bouger permet de découvrir des gens d’horizons différents. Cette vie de nomades nous a offert une ouverture « au monde ». Je mesure cette chance dont nous nous sommes enrichis.
Partager la vie d’un entraîneur, c’est apprendre à vivre dans le présent. Il est si dense qu’il ne vous laisse ni la place de ressasser le passé, marquant, ni d’envisager l’avenir, incertain. Je vous parlerai de cet immense spectre émotionnel que nous ressentons dans cette vie, lors de ma prochaine chronique. À vendredi. Prenez soin de vous. »

Re: 👥[Staff] Jean-Marc Furlan et son staff

Publié : 30 mai 2022, 17:32
par djej
Chap 7 Le spectre émotionnel



« Travailler dans le football, c’est vivre un vertige d’émotions constant et intense. En l’espace d’un rien de temps, Jean-Marc peut descendre de son petit nuage et se retrouver au cœur de l’abîme. Yannick Noah avait abordé ce quotidien de l’athlète de haut niveau, oscillant sans cesse entre le statut de héros et celui de minable. Ces mots me semblent très justes. Les émotions de Jean-Marc ne sont jamais vraiment équilibrées et durables, toujours nuancées, menacées. Tout se passe comme s’il se trouvait dans un ascenseur en mouvement perpétuel ou qu’il était un pilote de chasse prenant G sur G.
Je ne prends pas un risque exagéré en affirmant qu’un entraîneur ressent quasi quotidiennement de l’anxiété. Même lorsque son équipe enchaîne les victoires, un élément peut toujours ternir la sérénité de Jean-Marc : une blessure, un joueur malade, un problème de transport… Même en l’absence de ce genre de grain de sable pour enrayer la machine, il parvient à se faire des « nœuds au cerveau ». Lorsque son équipe gagne, il se méfie de l’euphorie. La logique voudrait, pour certains, qu’il conserve le même onze au match suivant, mais il s’interroge : il veut montrer à chaque joueur qu’il fait partie de l’aventure. Il a toujours une réflexion systémique. Une défaite peut le faire énormément souffrir, comme je vous le racontais précédemment, mais une victoire ne le satisfait jamais totalement. Dans le tumulte de la saison, les bonheurs de l’entraîneur sont éphémères.

Heureusement, il reste des joies immenses dans ce métier. Elles sont rares, donc d’autant plus intenses. Les premières qui me viennent en tête sont les épopées de Coupe de France. Jean-Marc a tissé son histoire en lien avec cette compétition. Elle lui a ouvert la voie pour entraîner au plus haut niveau. Au début des années 2000, après ses exploits avec le club amateur de Libourne Saint-Seurin, Aimé Jacquet, DTN à l’époque, l’avait appelé et sommé de s’inscrire au brevet des entraîneurs professionnels. Aujourd’hui, même si nous avons basculé dans le monde « pro », les semaines de Coupe restent spéciales. Sur ce point, je concède : je suis pire que lui. Gagner cette compétition magique serait mon rêve.

Je me souviendrai à vie du match de Coupe avec Libourne Saint-Seurin contre l’OL (1-0), champion de France en titre, en 2002. Avant le coup d’envoi, j’étais au fond du petit tunnel qui mène au terrain. Devant moi, les joueurs de Libourne surnommés les « Pingouins », semblaient bien petits face à ceux de Lyon, des lions, immenses. Ce contraste m’est resté. Entre les deux colonnes de joueurs, une grande affiche trônait sur le mur, avec la devise suivante : « Ici, les pingouins ont des ailes. » Ce soir-là, les Pingouins ont volé. Nous avons gagné 1-0, au terme d’une rencontre ébouriffante. La fête qui suivit fut folle. Proche des joueurs et de leurs femmes, j’étais installée à leur table. Nous échangions, heureux quand tout à coup, négligemment, après s’être assuré que notre capitaine, Régis Castant, l’écoutait attentivement, le latéral droit, Lilian Astier avait lâché : « Pour me préparer, hier soir, j’ai mangé une raclette ». La tête de Régis à cet instant restera à jamais gravée dans ma mémoire tout comme le fou rire qui suivit. La Coupe de France est magique. Quand vous vivez ce genre d’exploit, elle vous propulse au firmament de la joie. Nous nous autorisons alors à nous abandonner le temps d’une soirée. C’est brut.
Nous avons aussi connu l’ivresse des montées en Ligue 1, à Troyes en 2012 et 2015, puis à Brest en 2019. Ce sont également des moments de cohésion extrêmement forts. Lors de ces saisons, nous connaissons des défaites et des doutes, qui renforcent la sensation d’aboutissement quand vous parvenez à accéder à l’étage supérieur. Vous avez alors l’impression de réussir quelque chose de grand, ensemble. Je pense que cet instant procure une pleine satisfaction, relativement rare dans le métier d’entraîneur, comme si tout ce que vous aviez mis en place et traversé au cours de la saison prenait « ici et maintenant » tout son sens. Au fil de sa carrière, les montées incarnent les moments précieux au cours desquels Jean-Marc lâche prise, se sent heureux, sans arrière-pensée ou anxiété du lendemain. C’est pur.

Et puis, le maintien ! Ou, plutôt, les maintiens. Quel que soit le visage de la saison, s’assurer de ne pas descendre reste un moment d’allègement pour Jean-Marc. Quand ses équipes décrochent le maintien à un ou deux matches du terme, la sensation est bien évidemment décuplée. Je me souviens notamment du maintien en Ligue 2 avec Troyes, en 2011. Dans le bonheur collectif, je vivais un bonheur confidentiel que je partage avec vous aujourd’hui : je travaillais avec le milieu de terrain Eloge Enza-Yamissi depuis plusieurs mois. Il s’était fixé un objectif, très important à ses yeux : marquer un but dans cette fin de saison si épineuse. Il respirait le football et voulait aider son équipe à accéder au maintien, au-delà de son cas personnel. Nous avions entre autre utilisé l’imagerie mentale : il me décrivait ce but, le visualisait sous plusieurs angles… Il a atteint son objectif à l’avant-dernière journée, contre Laval. En plus de ce but libérateur, je me souviens d’un moment suspendu dans notre voiture après la rencontre où Jean-Marc me prend la main et dit : « On a réussi. On reste en Ligue 2. » Nous étions très émus. Ces moments sont de tels soulagements. Jean-Marc et les joueurs sont délestés d’un poids immense. Quelle délivrance !

L’entraîneur détient le pouvoir de rendre des milliers de personnes heureuses. C’est beau comme c’est effrayant. Ce sont des shoots d’adrénaline qui deviennent addictifs, que vous avez envie de ressentir chaque week-end. Mais c’est aussi une immense responsabilité. En l’espace de quelques matches, Jean-Marc peut être adulé puis méprisé par les mêmes personnes. Toutefois, une nuance mérite d’être soulignée : dans chaque club où nous sommes passés, il existe toujours une poignée d’inconditionnels, qui aiment et soutiennent l’entraîneur, quel que soit le résultat. Ces gens sont si touchants : ils l’attendent au pied de la tribune, à la voiture, parfois plus de deux heures après le match. Même en plein hiver à -7 degrés, ils sont inlassablement là pour un simple mot d’encouragement et/ou un petit cadeau, comme les derniers légumes du jardin. Leur générosité est bouleversante. Jean-Marc prend toujours le temps pour eux. Ils sont des phares dans ce monde du foot impermanent et excessif.

Puis, il convient d’aborder l’autre côté du spectre émotionnel, celui des défaites qui deviennent détresse. Pour nous, la pire expérience fut Strasbourg où nous avons connu une série de onze revers consécutifs, nous propulsant en Ligue 2 au terme de la saison 2007-2008. Au fil des matches, la situation est devenue invivable. L’état de Jean-Marc empirait. Il lui arrivait de se réveiller la nuit à 2-3 h du matin et d’être incapable de se rendormir. Je me forçais à aller au stade car je me refusais à le laisser seul dans cette enceinte, mais le plaisir avait laissé place au calvaire. Je me souviens d’un match où Léa, la fille de Jean-Marc, était venue nous rendre visite. Elle était adolescente et n’était vraiment pas « équipée » pour supporter cette violence – si tant est qu’il convienne de l’être un jour. Face aux sifflets et aux insultes dirigées contre son père, elle s’était mise à pleurer et avait quitté la tribune. Sincèrement, il est extrêmement difficile de « mettre en mots » ce qui se joue dans votre cœur et dans vos « tripes » dans ces moments-là.
Certains prétendus supporters se sont comportés au-delà du tolérable. Ils nous attendaient parfois près de notre voiture pour nous défier de leurs injures, tenter de nous faire peur. Jean-Marc prend beaucoup d’espace dans ces moments-là. Il me protégeait, donc je n’étais pas terrifiée. Mais je me méfiais, vigilante à ce que la situation ne déborde pas. Nous recevions aussi des lettres d’insultes à la maison. Ne me demandez pas par quels moyens ces personnes étaient parvenues à obtenir notre adresse personnelle… La saison suivante, nous avons malheureusement manqué la montée lors du dernier match à Montpellier. En rentrant, j’ai retrouvé notre portail « placardé » de saletés, notre jardin saccagé, rempli de poubelles vidées. Des courriers de menaces sont arrivés dans la semaine. Perturbée, j’ai envisagé de faire installer un grillage pour protéger mon chien : quelqu’un aurait-il l’idée de l’empoisonner ? Je sais, cela peut paraître complètement dingue, mais devant la démesure de ce contexte, je m’interrogeais : jusqu’où tout ceci était-il censé aller ?

J’étais cloîtrée à la maison, j’avais perdu toute envie de sortir. Jean-Marc a souffert, aussi, mais davantage des résultats que de l’environnement. Il était plus philosophe que moi. Mais sincèrement, ces situations sont, sans nul doute, encore plus difficiles pour la famille, les proches que pour l’entraîneur lui-même. Un jour, alors qu’il cherchait à me faire admettre que tout cela n’avait aucune espèce d’importance et le laissait froid, je lui avais dit : « OK. Transpose cette scène quelques secondes. Imagine que je me fasse insulter, menacer et que tu sois spectateur de ces scènes. » Il avait eu un regard sombre et avait déclaré : « Je mettrais des coups de tête. »
Quand une équipe perd, c’est comme si l’entraîneur qui la dirige n’a pas le droit d’être heureux, de sourire, ou même, de sortir. Comme s’il devait, en attendant la prochaine victoire, mettre sa vie entre parenthèses. Dans ces moments-là, il nous est par exemple arrivé d’être interrompus au restaurant par un partenaire du club, persuadé de la légitimité de son intervention. Il s’est très naturellement arrêté à notre table, a fixé Jean-Marc (dans ces instants-là, je suis transparente) et a déclaré : « Ah. Vous êtes là ! Et vous êtes fier de l’équipe que vous avez faite hier soir ? »
Comme si une loi propre au monde du football indiquait qu’une défaite devait nous empêcher de vivre. Le problème, c’est qu’à force, nous sommes un peu tombés là-dedans. Et c’est totalement irrationnel, car je vous l’ai déjà de nombreuses fois répété, nous dédions notre vie au football. Que voulez-vous que nous fassions de plus ? Pourquoi les défaites devraient-elles nous empêcher de vivre librement ? Il est anormal de se permettre de tout dire à un entraîneur, un joueur et son entourage dans le cadre de leur vie privée. Il est anormal de s’inviter à leur table, dans leur boîte aux lettres ou leur jardin. Je refuse de banaliser cela.

Voir se dessiner une descente est une torture. Jean-Marc a l’impression que tous ses efforts ne servent à rien. Le sens de son travail, de son engagement, s’effrite, part en fumée. C’est un sentiment d’échec profond. Le pire, pour lui, reste les conséquences éventuelles pour les autres acteurs du système. Il pense aux joueurs en fin de contrat, aux postes du club qui vont être supprimés, aux personnes qui risquent de se retrouver dans le dur sur le plan financier. Tout ceci dépasse le cadre du terrain, il s’agit de la vie des « petites mains » du club dont le milieu parle peu. De mémoire, nous n’avons jamais connu de saison où nous étions assurés de descendre alors qu’il restait de nombreux matches à jouer. Je souhaite que cela n’arrive jamais… Ce doit être horriblement usant.

L’entraîneur vit constamment dans la précarité. Au bout de trois défaites, il sait que sa situation peut commencer à tanguer. L’éventualité d’un licenciement plane au-dessus de sa tête. Jean-Marc a un rapport assez incroyable avec cette réalité que nous avons érigée en règle du jeu. Dès que les résultats manquent, il est le premier à dire : « Si, c’est moi le problème, je m’en vais. » Il ne s’accroche jamais à son poste. S’il considère qu’il n’est plus l’homme de la situation, que les joueurs ne s’engagent plus pleinement à ses côtés, il propose de s’en aller. Ce n’est pas le genre d’entraîneur à créer de la résistance, à faire jouer ses réseaux pour gagner du temps. Il ne se défend même pas. Il se fait même hara-kiri, parfois ! J’aime la liberté et l’honnêteté qui en découle, mais ça reste, à mes yeux, excessif : il en arrive presque à se saborder, à s’autodétruire. Je ressens un réel inconfort dans ces cas-là car ce comportement valide l’idée que l’entraîneur est le premier responsable d’une mauvaise passe, qu’il doit être le premier fusible à sauter. C’est une vision à mon goût absurde et étriquée. Un club de football s’appuie sur un projet, un système comme Jean-Marc le rappelle souvent. Si ce projet repose sur un seul homme, quel qu’il soit, cela n’en est pas un.
Dans ces périodes difficiles, il arrive que Jean-Marc s’interroge sur son avenir. Je l’écoute, mais je ne m’inquiète guère. C’est toujours furtif, jamais profond. J’interprète davantage ces « passages à vide » comme l’expression d’une détresse, d’un besoin de décompresser ; ils ne sont pas issus d’une véritable réflexion. Je m’efforce de ne pas me laisser contaminer par cette « tempête émotionnelle ». J’essaie de prendre de la hauteur, de « me mettre au balcon ». Je veux accompagner Jean-Marc vers des sentiments plus équilibrés, raisonnés, supportables. Je suis là pour l’aider à prendre conscience de leur caractère extrême, et de la nécessité d’attendre le retour au calme avant une quelconque prise de décision.

Le jour où il émettra cette idée alors que son équipe va bien, je me dirai qu’il est proche de la fin. Quand il se retirera, je pense que les premiers mois de calme lui feront beaucoup de bien. Il profitera de ses enfants, de sa famille, de ses amis. Puis, le manque se fera nécessairement sentir : comment pourrait-il en être autrement ? Face à tant de liberté, il se peut qu’il se demande en se levant le matin : « Mais qu’est-ce que je fais là ? » Je pense que nous y sommes préparés. En même temps, nous continuerons à regarder des matches, à vibrer devant la Ligue des champions, enfin dans les stades et non plus devant la TV. Les émotions du foot ne nous quitteront jamais. Elles seront simplement différentes.
Vous l’avez bien compris au fil de ces chroniques : nous vivons d’une manière recluse, en totale dévotion pour notre sport. Nous passons peu de temps avec nos proches, ce qui contribue à décupler les émotions que nous vivons sur les terrains. Les aventures que nous multiplions s’inscrivent dans notre ADN et nous attachent à leurs protagonistes : les joueurs. Tout comme l’intelligence, la famille est multiple. Nous considérons certains d’entre eux comme des membres de la « famille football » que nous nous sommes constituée. Que nos chemins se soient croisés dans l’euphorie de Troyes ou le calvaire de Strasbourg, les liens qui en découlent sont solidement entrelacés. Les grandes victoires soudent autant que les pires défaites. Dans ces moments, vous faites bloc face à vos dirigeants mécontents, vos supporters mécontents, votre boulanger mécontent. Vous vous resserrez, seuls contre le monde mais ensemble.
Bien sûr que nous jouons pour gagner, passer les tours de Coupe, monter, se maintenir mais, n’en déplaise à certains, ce n’est pas l’obsession des trois points qui fait gagner. C’est la méthode mise en place pour réaliser une grande performance qui peut, éventuellement, aboutir à la victoire et la rendre pérenne. Jean-Marc a basé la sienne sur un mélange de rigueur et de plaisir. Cette vision des choses lui a parfois été reprochée dans ce milieu du football où il faut avant tout affirmer haut et fort « jouer pour gagner » et « haïr la défaite ».

Pardonnez-moi mais à mes yeux, ce sont des phrases toutes faites, sans aucune épaisseur. Connaissez-vous un sportif, même amateur, qui joue pour autre chose que gagner ? Croyez-vous qu’il suffise de haïr quelque chose pour s’assurer de l’éviter ? Je hais l’idée de devoir un jour quitter ce monde, cela sera-t-il suffisant pour m’offrir l’éternité ? Comme avait répondu un jour Jean-Marc à un de ses dirigeants, si ce n’est qu’une question d’obsession et de volonté, autant recruter onze membres du GIGN…
Je pense sincèrement que c’est grâce à ce savant mélange de rigueur, transmise par son père maçon, et de plaisir du jeu, de venir s’entraîner, de vivre ensemble au quotidien, que Jean-Marc obtient des résultats et entretient des relations très fortes avec nombre de ses joueurs. Il peut être dur, très exigeant, colérique, déstabilisant, mais sa méthode reste ludique, basée sur l’humain, l’amusement et l’écoute des joueurs. Avec Jean-Marc, ils sont heureux de venir à l’entraînement. Certains se retrouvent comme « orphelins » lorsque leur collaboration s’arrête. En témoigne le nombre de messages d’anciens joueurs qu’il reçoit. En témoignent les anciens Brestois qui nous ont rejoints à Auxerre : Mathias Autret, Quentin Bernard, Gaëtan Charbonnier, Alex Coeff, Donovan Léon.

Léa et François, ses enfants, s’amusent souvent à dire qu’ils ont des frères dans la France entière et qu’il conviendrait de les informer lorsque la famille s’agrandit, histoire d’être au courant. Effectivement, plusieurs joueurs considèrent Jean-Marc comme un deuxième père. Je me souviens de Blaise Matuidi participant à un jeu où il devait effectuer des choix entre deux personnalités pour exprimer son attachement : il s’excusait auprès des autres, mais choisissait Jean-Marc en disant : « Désolé… C’est papa ». Certains d’entre eux, avec lesquels j’ai travaillé sur le plan mental, sont devenus des amis, élargissant encore la famille.

Enfin, comment terminer cette chronique sans parler des enfants des joueurs ? Ils sont toujours les bienvenus dans le vestiaire. Jean-Marc adore les taquiner, s’amuser avec eux… Que croyez-vous que cela entraîne puisque certains le voient comme un père ? C’est très simple, les joueurs les plus « chambreurs » incitent les enfants à l’appeler « Papy » faisant de moi, par voie de conséquence, leur « Mamie ». Le premier qui a osé nous a littéralement fait éclater de rire. Je suis fière de cette « famille football » que nous avons bâtie. Elle est composée d’identités multiples, d’origines culturelles et religieuses variées. Elle est notre richesse. Quand Jean-Marc ne va pas bien, je lui rappelle ces petites choses, inlassablement. À mes yeux, elles valent toutes les victoires du monde. À vendredi prochain. Prenez soin de vous. »

Re: 👥[Staff] Jean-Marc Furlan et son staff

Publié : 30 mai 2022, 17:33
par djej
un peu de lecture pour les plus courageux

Re: 👥[Staff] Jean-Marc Furlan et son staff

Publié : 30 mai 2022, 17:37
par Martins 95
djej a écrit : 30 mai 2022, 17:33 un peu de lecture pour les plus courageux
Merci beaucoup ! J'avais lu le premier chapitre et j'avais trouvé cela très intéressant.
Je lis la suite dés que j'ai dix/quinze/vingt minutes

Re: 👥[Staff] Jean-Marc Furlan et son staff

Publié : 30 mai 2022, 18:39
par Bouddha JA
Merci beaucoup
Il faut du temps pour lire tout ça mais c’est hyper interessant
J’adore!
C’est très instructif

Re: 👥[Staff] Jean-Marc Furlan et son staff

Publié : 30 mai 2022, 19:03
par kikinou
Bon a priori Furlan resterait

Re: 👥[Staff] Jean-Marc Furlan et son staff

Publié : 30 mai 2022, 19:03
par bizzi
Jean Marc furlan vient d'annoncer sur l'équipe 21 qu'il souhaite continuer l'aventure avec Auxerre. Et faire évoluer le club.
C'est en discutions avec j.zhou

Re: 👥[Staff] Jean-Marc Furlan et son staff

Publié : 30 mai 2022, 19:05
par djibrilenforce
bizzi a écrit : 30 mai 2022, 19:03 Jean Marc furlan vient d'annoncer sur l'équipe 21 qu'il souhaite continuer l'aventure avec Auxerre. Et faire évoluer le club.
C'est en discutions avec j.zhou
Il veut juste la confirmation financière 😉 donc indirectement sportive pour lui et ses ambitions (ne pas jouer le maintien).